Le Règne Animal

Critique | Festival de Cannes 2023 | Sélection Officielle (Un certain regard)

Les plus ardents défenseurs de Spielberg ne pourront pas balayer d’un revers de la main Le Règne animal sans passer pour des inconsistants. C’est que le deuxième long-métrage de Thomas Cailley a tous les atouts du grand film d’aventure : de la tension, du rire, des pleurs… bref, du spectacle. Bien sûr, ils me répondront « mais non ! il n’y a pas les grands mouvements de caméra ! il n’y a pas les grandes thématiques chères à Spielberg ! tu n’y comprends rien ! ». Il n’empêche que ce film saisit la véritable grandeur de Spielberg : non pas l’inventeur d’un nouveau cinéma qui mériterait toute notre attention, mais l’artisan qui œuvre à la facture d’un cinéma populaire – ce qui mérite notre attention. 

Thomas Cailley est donc de cette trempe et sa présence à Cannes dans la section Un Certain Regard est un peu curieuse au regard de la forme parfaitement hollywoodienne que prend son film, avec tous ses atouts, mais aussi tous ses défauts : love interest pour le fils ET pour le père, soirées étudiantes, les brimades au lycée, une menace qui plane sur les protagonistes, la gendarme en charge de l’enquête est sympa et humaine… on navigue en terrain connu ! On ne peut s’empêcher, d’ailleurs, de soupçonner les accointances entre Why Not Productions et Thierry Frémaux, car, à bien regarder le film, on l’imagine plutôt à la Quinzaine ou en Hors Compétition. Mais ne crachons pas dans la soupe : elle est extrêmement bonne.

Pourquoi ? Parce que Thomas Cailley évite les embûches sur son chemin. La transformation du personnage principal, au lieu d’être monstrueuse, comme dans la pelleté des films-de-genre-français de ces trois dernières années, tient plutôt du genre super-héroïque et rappelle bien souvent le premier cru de Spider-Man ; les méchants de l’histoire sont les structures, pas les individus, c’est-à-dire ce qui pèse sur les protagonistes, ce sont l’état, la police, l’institution médicale (les créatures sont gérées par le SAMU) ; la musique n’est jamais omniprésente, et le film cède volontiers au plan large, qui permet de voir les environnements, mais aussi d’ancrer à la fois le film sur son territoire, la Nouvelle-Aquitaine, et de donner aux créatures une parure de réel tout à fait excitante. On ne peut s’empêcher d’être pris, et la fascination qu’exerce les effets spéciaux, probablement plus pratiques que numériques, ne cesse d’attirer l’attention et la curiosité. 

Bien sûr, les impératifs financiers d’un tel film l’oblige à certains écarts qui diminuent la force de ce qui aurait pu être. Comme Avatar 2, on passe trop de temps dans la dramaturgie et pas assez dans la contemplation de l’univers qu’il a créé. Les plus exigeants d’entre nous (moi) auraient aimé que la scène d’envol du faucon, aussi belle soit-elle, dure plus longtemps, éprouve les personnages et leur corps… Cela étant dit, les multiples références aux sens humains et animaux, qu’elles soient dites, montrées, ou bien ressenties, nous ramènent dans chaque scène aux limites de notre propre corps, et on retrouve les rêves d’enfants, ceux dans lesquels on devient un ours ou un cheval, ou même une baleine ou un canard. Ainsi, la grandeur du film tient à rendre palpable un rêve d’harmonie dont on connaît la naïveté. Et lorsque le langage devient des cris, lorsqu’on pensait tomber dans le poncif cinématographique le moins intéressant de l’histoire du cinéma, quelle plus belle manière, en réalité, de rappeler que le cri dit les choses les plus importantes du monde.

Le Règne Animal de Thomas Cailley, sortie le 4 octobre 2023