Critique | Dracula de Radu Jude, 2025
Si dans Eight Postcards from Utopia (2024) Radu Jude envisageait le mythe publicitaire comme un non-lieu cathodique, Dracula s’évertue à l’ancrer géographiquement dans sa Roumanie natale, la Transylvanie. L’autre point commun entre les deux films réside dans la forme, qui s’apparente à un essai vidéo, dont le dispositif revisite la figure de Dracula, pour analyser l’état socio-économique de son pays, sous le prisme de la vampirisation.
Monté sous forme de digression « à la Diderot », le film trouve son unité autour du personnage du narrateur-scénariste, à qui on a commandé un film commercial sur Dracula. N’ayant que très peu envie de satisfaire les producteurs exploiteurs de talents pour les vendre au Grand Capital, il demande à l’IA de lui créer à la fois des images et des histoires selon différentes modalités : le Vampire comme attraction touristique, le Vampire comme Grand Patron, comme religieux… Le film joue constamment avec la basse définition, le kitsch et l’obscène, intégrant les images produites par différents logiciels d’intelligence artificielle (ultime vampire pour le créateur), entraînant une profusion d’images qu’on peut retrouver dans la sphère du mème et du scroll. En résulte un bruit visuel et sonore qui vampirise lui-aussi l’âme du spectateur.
Marteau et faux-cils
Le problème d’un film où il y a plein de bonnes idées, c’est qu’elles restent au stade d’idée. Oui le capitalisme et le patriarcat sont des systèmes qui reposent sur la vampirisation des forces des travailleurs et des femmes. Mais une fois qu’on a posé ça, on n’est pas plus avancé. Si Jude joue de la digression, son travail de chapitrage rend son travail somme toute assez scolaire tel un mauvais plan, sous forme de liste. Si les images générées par l’IA sont extrêmement intéressantes pour ce qu’elles condensent du régime visuel du néolibéralisme – une pornographisation de l’image léchée et aseptisée du réel – la répétition ad nauseam des motifs phalliques tend parfois à la misogynie, puisqu’il semblerait que la prude protestante ne cherche en réalité qu’à se la faire mettre dans le cul, in fine. Certes, l’IA est sans doute gavée de contenus d’un patriarcat crasse d’une communauté en ligne d’incels, mais Jude ne questionne jamais vraiment cet aspect là des images, puisqu’il ne cesse lui-même de le reproduire dans la mise en scène de l’histoire principale : un couple d’acteurs faisant performance de vampire dans un salon privé cheap pour des familles de touristes, finissant en chasse à l’homme IRL (« in real life »). Là est sans doute la limite du film : reproduire ce que l’on dénonce au moment même où l’on en fait la critique. Utopia (2024), au contraire, partait d’images d’archives préexistantes, sans mise en fiction qui amène à vampiriser son propos en se parant de faux cils pour lever le marteau.
Dracula de Radu Jude, en salles le 15 octobre 2025