Le cartel du chocolamet

Critique | Wonka, Paul King, 2023

En sortant Wonka à quelque semaines des fêtes de Noël, Paul King, sous la houlette de Warner Bros, continue de très peu nous intéresser, d’agir selon un cahier de charge emprisonnant et prévisible. Mais le film intéresse malgré tout, pour la question qu’il pose : de quoi Timothée Chalamet est-il capable ?

En reprenant le rôle tenu et façonné par Johnny Depp dans le Charlie et la chocolaterie de Tim Burton (2005), l’acteur franco-américain s’essaie pour la première fois au film très grand public, et s’essaie à parler aux plus grands et aux plus petits, bref, à tous les citoyens du monde. Le film prend lui-même l’allure d’un test de produit réalisé en laboratoire avant d’être mis sur le marché, à travers le désir d’un jeune Wonka d’ouvrir sa boutique et mettre son chocolat en concurrence avec trois autres magnats. Mais en se comparant aux autres boutiquiers du film, Chalamet révèle surtout la profonde nature de son jeu, définitivement peu taillée pour l’audience qu’il vise. Au-delà sa matière nécessairement fade (une frêle copie des imageries burtoniennes passée à la moulinette du très fin militantisme moderne des studios), jamais l’on ne ressent de désir en amont, ou de plaisir devant le film, à voir un visage devenu familier se donner dans toutes sortes de situations.

1. Johnny Depp

Rappelez-vous : pour toute une génération, Johnny Depp enchaîne Pirate des Caraïbes, Charlie et la chocolaterie et Alice au pays des merveilles, avant que l’on ne découvre, cinéphiles, d’autres rôles cachés (Cry-Baby de John Waters, Dead Man de Jim Jarmusch…) qui n’attendaient qu’une chose : que nous grandissions. C’est bien cette polyvalence dans le choix de ses rôles et l’excentricité des prototypes qu’il incarne qui rendent difficile pour certains aujourd’hui de faire le deuil d’un acteur que l’on prenait inévitablement plaisir à retrouver. Mais pour Timothée Chalamet, dont on a pu aimer tomber niaisement amoureux·se de lui dans Call Me By Your Name, que retenir de ce rôle de chocolatier ? En se parant du costume d’un personnage taillé pour lui — assez connu du grand public pour potentiellement créer un désir ; réputé fou, mais d’une folie qu’il est encore possible de façonner —, l’acteur signe donc un véritable échec artistique, en restant ainsi cloisonné aux lignes prévisibles qu’on pouvait lui prédire. 

Car dans Wonka, il n’y a jamais de grimace ou de malice, ni de traits métafilmiques qui forcent le sourire et font le lien dans la filmographie de l’acteur. Quelle scène, quel gag, quelle réplique dépasse au point de s’en souvenir pendant plusieurs années ? Faudrait-il chercher du côté de la musique, lui qui prépare un biopic sur Bob Dylan ? Pourquoi pas. Mais alors : pourquoi le film est-il aussi timide, étouffé par la référence et le perfectionnement de chorégraphies que l’on imagine travaillées ad nauseam ? Et en ce sens, la scène fantasmatique devant la boutique dans laquelle il imagine une flopée de clients se ruer sur ses gourmandises évoque, d’une manière peu flatteuse, comme un sosie lointain…

2. Adam Gary Sevani

Inoubliable Moose dans la saga Sexy Dance, Sevani apparaît pour la première fois au cinéma et dans la culture populaire en 2008, à l’occasion de Sexy Dance 2, à peine âgé de 16 ans. Immédiatement, quelque chose transcende le médium, la qualité limitée des films-sur-des-concours-de-danse : une silhouette fugace qui ne tient pas en place, un sourire malicieux sur un visage à la jeunesse indécente, un talent évident pour la danse et un plaisir tout aussi certain à s’en voir féliciter… Sevani partage avec Chalamet une nouvelle masculinité, que le second a largement popularisé.

Mais la comparaison s’arrête là : l’un rend n’importe quel décor agréable et familier (peut-être est-ce la véritable définition de la culture de la street) ; l’autre nécessite des millions et des décors démesurés pour mettre en scène un sourire, une mèche qui tombe sur un visage que l’on force à rendre jovial. En vérité, lorsqu’on sort de Wonka, alors même qu’on l’a vu chanter, sauver une orpheline d’un couple de Thénardier, rendre aux Oompa-Loompas ce qu’il leur a volé sans le savoir sur leur île (métaphore dégoûtante d’un hashtag décolonial signé Hollywood), Chalamet ne nous apparaît toujours pas comme quelqu’un de sympathique, de familier.

3. Leonardo DiCaprio

Alors, la carrière artistique toute tracée de Timothée Chalamet serait celle d’un Leonardo DiCaprio seconde période. Né d’un immense succès (Call Me By Your Name contre Titanic), il semble, lui aussi, se diriger vers une incapacité à tourner ailleurs que chez des signatures (Gerwig, Guadagnino, Anderson, Villeneuve…), et (quasiment) toujours en langue anglaise. Tous deux s’enferment volontairement dans une cage dorée, assurés d’avoir le premier rôle dans des films qui remportent des prix partout… 

…en Amérique, mais très peu en Europe, et à Cannes exemplairement. Le choix de l’argent plutôt que de l’art ? Il est peut-être temps de revenir à une pensée tout à fait binaire pour alerter sur la qualité alarmante des divertissements hollywoodiens qui, terrifiés de ne pas plaire au très grand public, se retrouvent à perdre peu à peu la seule qualité qu’ils avaient pour eux : divertir. En ce sens, Timothée Chalamet creuse sa tombe et se destine au même parcours funeste que Leonardo DiCaprio qui, depuis Titanic en 1997, n’a plus jamais provoqué ni larmes ni émotions en tournant définitivement le dos au cinéma d’auteur dans sa diversité.

Wonka, de Paul King, sortie le 13 décembre 2023