Mal de dents

Critique | Nosferatu de Robert Eggers, 2024

Les premiers retours outre-Atlantique sont tombés, le Nosferatu de Robert Eggers sera LE film de cette fin d’année. Que d’éloges pour le geste gothique du cinéaste, pour son audacieux remake du chef d’œuvre de Murnau, pour la performance du siliconé Bill Skarsgard et de la diaphane Lily-Rose Depp. Oui enfin… ces envolées lyriques ne seraient-elles pas le tapis sous lequel se cache la poussière ?

Dès la première séquence, le ton du film est donné : exit le romantisme de Coppola, la solitude de Herzog ; ce Nosferatu nouvelle mouture sera un film d’horreur. Ou du moins nous a-t-il été vendu comme tel. Dans cette introduction, Ellen (Lily-Rose Depp) rêve (ou se souvient ?) de la venue de la Mort dans sa chambre d’enfant. L’ombre du vampire est projetée au travers de rideaux blancs et sur les murs, s’étend vers la jeune femme. Brillante idée de mise en scène si elle n’était pas utilisée dans l’unique but de rappeler au bon souvenir d’un illustre parent. Du marketing pour fidéliser l’audience dès la première seconde donc, et lui hurler au visage «regarde, c’est Nosferatu, il est le Mal et étend son ombre au monde civilisé». 

Cette première séquence expédiée par un jumpscare assez banal, le film introduit ses enjeux dans un cadre très classique, un décorum victorien. Mais contrairement au roman épistolaire de Bram Stoker, Eggers (comme Murnau, cela dit) ne s’intéresse que très peu à la relation conjugale entre Thomas et Ellen Hutter. Mais comment pourrait-il en être autrement, tant l’alchimie entre Nicolas Hoult et Lily-Rose Depp est aussi peu sensible ? Eggers veut-il au moins essayer de nous faire croire à un amour fort entre les deux personnages ? Vient alors le plus grand problème du film, celle qui le fait passer de sympathique divertissement horrifique à authentique mauvais film : Lily-Rose Depp. Et c’est bien dommage, car Eggers a eu l’idée plutôt bonne de faire d’Ellen le personnage principal de son remake, lui donnant plus de scènes, plus de force. Postulat même assez brillant quand on associe la figure vampirique à une allégorie du viol ; la femme présentée dans les oeuvres précédentes comme une victime devient enfin un personnage actif, qui se défend et détruit l’agresseur mystique. Malgré cette bonne idée… Lily-Rose Depp. Il semble qu’il y ait totalement dichotomie entre l’intention et la réalisation, tant l’actrice paraît persuadée de jouer dans un nouvel Exorciste. Plusieurs séquences révèlent particulièrement bien cette dissonance d’intention, qui prend la forme d’un surjeu permanent. Lors d’une promenade au bord d’un lac, Ellen fait part à son amie Anna (Emma Corrin) de ses cauchemars et de ses angoisses avec beaucoup trop d’entrain. Le moment qui aurait pu être intimiste, tragique, est transfiguré en une scène grotesque.  Quant aux séquences d’exorcisme, s’il on ne peut pas reprocher à Lily-Rose Depp d’être dans un surjeu délirant du fait de sa prétendue possession, on peut tout à fait imputer à Robert Eggers un résultat des plus vulgaires et adolescent, qui paraphrase autant qu’il ne déforme le génie de Friedkin. 

Vulgaire, c’est finalement un adjectif qui sied bien à ce Nosferatu. Malgré quelques belles inspirations gothiques lors du périple de Thomas (le plan qui révèle le château d’Orlock illuminé par la seule pleine lune), le film se vautre dans une sorte de fausse intimité qui laisse exploser l’ego de son réalisateur. En témoignent ces fameuses scènes en intérieur dont la production se vante dans son marketing d’avoir tourné à la seule lueur de bougies. Oui, le geste technique est notable, mais à quoi cela sert sinon de s’inclure dans une pseudo lignée de cinéastes rigoristes ? On retrouve là le plus grand défaut du réalisateur : il se regarde filmer. Tout est maniéré, tout semble calculé et pourtant, que c’est plat et triste. Le film est froid, froid dans sa colorimétrie car se déroulant en hiver, mais également dans son ton et son cadrage ; il n’y a pas de vie dans l’image, tout est mort. Était-ce l’intention de Eggers ? L’idée pourrait être bonne, l’ombre croissante de Orlock détruirait jusqu’à la vie de l’image. Mais pour que ce soit brillant, il faudrait que le procédé soit progressif, qu’on sente une ville bouillonnante, une image pleine de vie et de couleurs. Ce n’est pas vraiment le cas. Comme dans ses précédents films, Robert Eggers place un postulat esthétique et s’y tient, de la première à la dernière seconde. Alors la copie est lisible, on se laisse porter du point A au point B, mais rien n’est altéré, rien n’est engageant, rien ne pousse à la réflexion… c’est autant convenu que maniéré, dans la seule volonté de construire un récit divertissant avec une pointe d’horreur. 

In fine, que retenir de ce Nosferatu ? Un Bill Skarsgard méconnaissable sous accent slave trop marqué, une actrice principale systématiquement à côté, des américains jouant des allemands aux accents londoniens, des «beaux plans» et une fâcheuse manie d’en faire trop. La force des précédentes adaptations de Dracula était de systématiquement se détourner d’un roman épistolaire pour porter une grande idée : Murnau mettait en image son ressentiment vis à vis de l’hétéronormativité et du mariage, Herzog explorait la psyché d’un monstre solitaire, Coppola écrivait l’histoire d’amour impossible… Eggers, quant à lui, ne sera retenu que pour avoir réalisé un divertissement adolescent, plein de bonnes intentions parasitées par son mode de production. Le grand problème de Nosferatu, c’est qu’il ressemble davantage à un film de grand studio qu’à une œuvre d’un auteur accompli. C’est triste, mais Nosferatu sera oublié dans un an.

Nosferatu de Robert Eggers, le 25 Décembre 2024 au cinéma