Critique | La vie des hommes infâmes de Gilles Deroo et Marianne Pistone, 2024
Loin ou bien près, « il peut être n’importe où ».
C’est la traque d’un homme comme un autre. D’un mari et d’un père ordinaire, aussi bizarre qu’un autre, singulier comme quiconque, sans doute dangereux. Celle d’un être tenu par un environnement, des structures intérieures et extérieures qui le dépassent. Une colère qui le prend. Un besoin de s’isoler. Quand Deroo et Pistone fouillent les écrits de Foucault, iels tombent sur le chemin crotté de ce malheureux, cet homme perdu dans les sphères de la justice et de l’âme humaine.
La faune se place au centre, tandis que la flore empiète la profondeur des champs. La nature entoure les espaces sonores, brute et silencieuse – une promenade en forêt. Les humains sont toujours au second plan, cachés, dehors, dedans, rarement devant. Et leurs paroles sont atténuées (scène de la galette des rois), leurs corps scindés par les gros plans, perdus dans les hors-champs (scènes de prison). C’est la fuite de cet individu et sa survie pour sa défense, dont ce qui le comble moisit son intériorité – toujours nos vies seront le fruit de nos environnements. Ce matérialisme clair et tangible, au fil du film, déploie sa puissance esthétique. Le dénouement est lourd, les temps sont durs. Au départ, on naît sur Terre, puis l’on fait comme on peut – sortir de l’œuf comme de la bienséance, car la folie n’est pas une exception. Elle est la structure même de nos charognes.
Et c’est par là que le film adapte Foucault. La confusion des parts vivantes : il y a de l’homme dans les fleurs et les bêtes, les tulipes et les cochons. Et quand un parasite attaque nos bulbes, « la maladie embellit ». Nous devons tolérer ces métamorphoses comme accepter le vieillissement de nos corps. La mémoire s’essouffle, la vue baisse et le monde se fragmente en parcelles de vies d’où les fous doivent s’échapper, fuir la traque vers là où les bêtes passent. Où elles rugissent. Nous ne sommes qu’un long instant que le commun nomme vie, puis mort, peut-être survie, et cet homme dans le film, « on aurait dit une biche ».
Deroo et Pistone tentent un dispositif modeste pour un questionnement structurel profond. Par le fait de son étroitesse économique, leur proposition capte la justesse des corps et de leurs bafouillements, leurs maladresses, les instabilités de ces chairs passantes qui se confondent avec le reste. Il n’y a que ces corps et leurs alentours, ces décors de bois d’où la guérison naît en simulacre. C’est un long chemin terreux, des feuilles mortes et des individus qui errent dans l’existence. La vie des hommes infâmes, c’est la vie de tous les hommes ; tous ces humains perdus et que le monde maltraite. Un sauvetage dans l’enfonçure des futaies. Un homme qui, déphasé, désaxé, l’est partout sauf dans le bois.
La vie des hommes infâmes de Gilles Deroo et Marianne Pistone au cinéma le 4 décembre.