Critique | Le Syndrome des amours passés, Raphaël Balboni et Ann Sirot, 2023
Au royaume de l’absurde, ce terrain comique peu investi par le cinéma français et actuellement laissé aux mains de Quentin Dupieux pour qui rien n’a de valeur, Ann Sirot et Raphaël Balboni s’imposent avec Le Syndrome des amours passées comme de nouveaux sculpteurs du rire. Sérieux par leur sujet, convaincus par leur forme, morts de rire par leur idée, soit celle d’un enfant que Rémy et Sandra n’arrivent pas à avoir, et dont le blocage pourrait être dépassé par un protocole médical d’ordre… novateur : recoucher une fois avec tous les partenaires sexuel·les de leur vie respective. Lui n’en a que trois tandis qu’elle en a quelques dizaines. Mais où se niche la difficulté : faire l’amour avec quelques pauvres types (qui acceptent immédiatement l’offre), ou bien coucher avec sa « sœur » (géniale Nora Hamzawi) et une femme injoignable, comme disparue de tous les radars depuis bientôt dix ans ?
Cet écart de situation n’est qu’une des nombreuses manifestations du déséquilibre permanent auquel est confronté le couple et par lequel il ne fera que se renforcer. Au rythme des ex de Sandra et de la multiplication des nouveaux partenaires de Rémy rencontrés par souci d’équité, se dessine en creux une carte précise et tendant à l’exhaustivité des différents modèles amoureux, à moins qu’ils ne soient simplement relationnels. Qu’est-ce qu’une relation ? semble demander en permanence Le Syndrome des amours passées : du ménage à trois femmes que visite Rémy à la situation d’échangisme dans laquelle Sandra plonge son couple à cause d’un de ses ex, jusque dans le postulat même du film (l’enfant comme ciment du couple trentenaire), l’amour semble n’avoir jamais été mis en scène de manière aussi fluide, aussi compromissoire. Aimer bien, prouver concrètement son amour à l’autre, c’est précisément repousser les limites de la norme conjugale avec un cap intangible : l’enfant à venir. Ce désir somme toute bien banal étonne tant il n’est jamais présenté comme une hauteur morale, qui pourrait être perçue comme plombante vis-à-vis de relations plus expérimentales. Au contraire : le film fait exploser en éclat toute normativité pour le présenter comme un projet de vie comme les autres, rendu important aux yeux du couple par la mise en scène ésotérique des rapports sexuels réalisés hors du noyau, telle de petites bulles fantasmagoriques sans réelle accroche sur le réel, d’absurdes connivences qui prennent la forme de zoos lubriques et chorégraphies libidinales.
La loufoquerie du petit univers que bâtissent peu à peu ces deux cinéastes belges naît toujours de décors étonnants, à la fois kitsch (les feuillages d’Une vie démente, le ballet des ampoules du Syndrome…) et minimalistes (le mur sur lequel ils écrivent l’état d’avancée de leurs recherches, jusqu’à écrire sur le sol). Si rien ne semblait ainsi limiter l’inventivité des cinéastes, le film souffre toutefois d’un dernier tiers qui sent encore un peu trop fort les passages obligés et le scénario renfermé sur lui-même (comme dans La Vie démente, d’ailleurs, leur précédent film), s’obligeant à faire (un peu) douter Sandra de l’engagement de Rémy sans que l’on n’y croit vraiment, à conclure chaque développement avec une rigueur étouffante. En guise de résolution, la séquence finale est comme chuchotée à l’oreille des cinéastes par le roi Salomon, ce qui donne alors une radicalité insoupçonnée à la politique du care qui dominait jusqu’alors dans le couple ; et boucle peut-être plus finement qui n’y paraît la brèche ouverte par l’absurdité du postulat de départ. En tenant cette ligne volontairement naïve jusqu’au bout au sein de laquelle on s’aime et pardonne à peu près tout, Le Syndrome des amours passées négocie d’une main de maître avec l’absurde, et se sert justement des moyens du faux qu’il permet pour rendre compte de quelques fins sentimentales bien réelles, sans nier pour autant qu’il existe autant de manières d’aimer qu’il n’y a d’amoureux.
Le Syndrome des amours passées de Raphaël Balboni et Ann Sirot, sortie le 25 octobre 2023