Journal de bord | The White Lotus saison 3 (7/8)
Suite au samedi-journée-gueule-de-bois de la semaine dernière, l’épisode 7 de The White Lotus propose une nouvelle incursion nocturne. Cette fois-ci, une nuit de date, de sexe et de confrontations, le tout arrosé d’un violent whisky. Loin de nous enivrer, cette descente dans les abîmes des personnages accentue – une fois de plus – leur malaise existentiel. Les dilemmes moraux des personnages restent sans issue : englués dans leur propre médiocrité, aucun ne semble prêt à franchir le pas. Mauvais présage ? Sûrement.
Miroir miroir, dis moi qui est le plus misérable ?
« We all have the capacity to kill », affirme le moine bouddhiste en début d’épisode, dans un montage alterné avec le match de muay-thaï où se rendent Mook et Gaitok d’une part, et les Russes amis de Laurie de l’autre. Montage en miroir qui fait monter la pression ; duel yin-yang entre notre désir de violence et notre part d’espoir.
Ainsi, si Mook excuse la violence en y voyant une preuve de courage lorsqu’elle est utilisée pour se défendre – elle semble même y trouver une forme de virilité dont Gaitok n’est pas capable -, Tim imagine tuer sa famille pour la sauver de ses mauvais placements financiers dans des scènes de cauchemars-fantasmes où il transpire à grosses gouttes. Rick et Greg-Gary, partenaires calculateurs, riches et paternalistes, la calvitie au crâne, sont mis en parallèle tout au long de l’épisode, voire de la série. Si Rick est en quête d’une rédemption finale qu’il traîne avec son mauvais caractère depuis le début de la saison, il finit par se rétracter du meutre de l’assassin de son père (ou son père lui-même ? l’intrigue reste floue à ce sujet), tandis que Greg-Gary demeure dans sa position de dominateur, proposant d’acheter son silence à Belinda, et à Saxon de le mater pendant qu’il couche avec sa copine pour soigner son Œdipe. Une douleur perceptible, qui ne finit que par provoquer une forme de pitié amère pour l’un ; face à une posture de plus en plus sombre et dominatrice pour l’autre. Greg-Gary-Rick, Janus thaïlandais, on voudrait y voir une réflexion sur la violence latente de l’existence, mais il n’en résulte que des chamailleries dans cette jungle de l’entre-soi. En miroir de ce miroir, Chelsea incarne le double de Chloé : presque même âge, presque même position amoureuse, l’une est profondément vénale, l’autre dans la réparation. « I can fix him » typique d’une masculinité qui ne voit en sa compagne qu’une mère de substitution (pour le réconfort) assortie de la fonctionnalité pute (pour le sexe).
Calcul, rédemption et faux semblants
Cet épisode semble mettre en scène le désir de rédemption des personnages. Rick face à son trouble de la parentalité, puis Chelsea face à Rick. Du côté des Ratliff, l’expiation pourrait prendre une allure plus collective et familiale (mais ils ne sont pas très « en famille », non ?). Si Lochlan accompagne sa sœur pour la nuit au temple, l’hypothèse d’une purge animique semble boiteuse. Il a l’air sincère, mais surtout en pleine découverte de sa sexualité. Sa « proximité » avec le reste de sa fratrie suscite un malaise : il devient impossible de regarder sa sœur poser affectueusement sa main sur son genou sans être traversé de pensées obscènes. Refoule-t-il une homosexualité qui ne trouve d’incarnation qu’en son frère, ou bien l’adelphité est-elle au cœur de sa libido ? Si les personnages gays sont systématiquement impliqués dans les meurtres chez Mike White – l’un est assassiné dans la saison 1, l’autre tente d’éliminer quelqu’un avant d’être lui-même exécuté dans la saison 2 – Lochlan, seule figure queer de cette saison 3 résolument hétérosexuelle, connaîtra-t-il le même sort ou sera-t-il le meurtrier à gueule d’ange ? D’autant que cette semaine, la presse a révélé la suppression d’un arc narratif autour de l’enfant non-binaire de Laurie, le créateur redoutant un backlash après l’élection de Trump, soulevant ainsi des questions sur les choix de représentation dans la série. Faut-il y voir un reflet glaçant du sort réservé aux minorités, souvent premières victimes de violences systémiques, ou un acharnement réactionnaire confinant les figures queer aux recoins les plus sombres du récit ?
La nuit, moment d’échanges et de stratégies. Belinda, figure inquiète et perpétuellement malmenée, se retrouve face au dilemme d’accepter ou non les 100 000 $ pour garder le silence sur les circonstances de la mort de Tanya. Trahir sa conscience pour renoncer à la sécurité financière de son fils Zion ? L’intégrité contre la survie. Plus qu’acheter son silence, il s’agit de marquer davantage les rapports de domination, femme pauvre (dominée) VS homme riche (dominant). Belinda et Greg-Gary sont, malgré tout, unis par la mort au fil des saisons.
Saxon et Chelsea, eux, continuent leur étrange pas de deux, lorsque cette dernière projette l’aînée Ratliff, dans quelques années, à la place d’un vieux avec sa belle thaïlandaise. « Why are you so mean to me ? » rétorque t-il en s’apitoyant comme d’habitude sur son sort. Étonnamment, il accède au fil de l’épisode à un semblant de conscience de soi qui ne l’avait jusque là jamais effleuré ; il veut, paraît-il, changer, devenir quelqu’un de meilleur. Cette introspection se prolonge lorsqu’il confie à Chelsea être plus qu’une seule chose. Un aveu en contradiction totale avec sa déclaration à son père plus tôt : n’être rien en dehors de son travail. Mais cette prise de conscience ne l’absout pas pour autant. Saxon incarne un beauf-dominant : il sait exactement qui il est et ce qu’il fait et exploite cette identité à son avantage. Se donner des airs de vulnérabilité pour séduire une fille ? Une stratégie bien rodée. Ce calcul froid et cynique le rend d’autant plus coupable aux yeux des spectateur·ices. Les hommes riches jouent toujours à ce jeu pour arriver à leurs fins.
Pilule rouge ou pilule bleue ?
En quête de sensations fortes après sa dispute avec Kate et Jaclyn, Laurie part voir le combat avec l’un des trois affreux Russes, et Gaitok les reconnaît enfin : ce sont bien les voleurs de bijoux. Révélation tardive, peut-être commence-t-on à percevoir la tuerie finale ? Les Russes, des hommes, bien conscients de ce qu’ils représentent, se délectent du chaos provoqué et en tirent tous les bénéfices imaginables. L’un d’eux, après avoir couché avec Laurie, lui réclame subitement 10 000 $, et lui oppose que cette somme n’est rien pour elle, alors qu’elle changerait sa vie à lui en lui permettant de payer les billets d’avion pour que sa mère malade le rejoigne. Malin malaise : en lui demandant légèrement trop tôt (à quelques secondes près), la pitié dont il enrobe son opportunisme ne prend pas, et elle ne tombe pas dans le panneau. C’est comme s’il n’avait pas laissé infuser suffisamment longtemps le romantisme exotique post-coït d’une amourette thaï avec un drôle de russe dont elle se vanterait à son retour de vacances. Les hommes russes sont décidément mauvais en timing : la scène se termine dans la précipitation lorsqu’on voit sa femme débarquer dans la chambre. Un tue-l’amour au carré.
Cet épisode met donc tous les personnages face à un choix impossible. Saxon, en pleine crise existentielle, est-il le seul à se remettre en question après son trip incestueux avec son frère ? Ou manie-t-il bien les différentes casquettes pour arriver à ses fins (sexuelles) avec Chelsea et (économique) avec son père ? Il le confronte, et Thimothy, fidèle à lui-même, continue à lui mentir. « If I’m not a success then I am nothing. And I can’t handle being nothing ». Tout n’est que mascarade sentimentale, une tentative pathétique d’exister à travers le regard des autres, mais, progrès oblige, le regard individualisé des autres. Identités fluctuantes, contradictions permanentes : ici, personne ne sait vraiment qui il est. Et si la solution, c’était de ne plus être ? Pendant ce temps, Rick choisit la fuite. Il prétend qu’il n’a plus rien à se reprocher, qu’il a enfin réglé ses comptes avec l’assassin de son père dans un échange pitoyable où il le fait juste tomber par terre. Son comportement prouve le contraire et il sourit pour la première fois de la saison, il est avide de coke, de putes et de whisky à flot. Ce n’est plus qu’une question de temps avant que tout ne bascule et que le choix s’opère. Est-ce que Greg-Gary va devenir violent avec Belinda ? Est-ce que Gaitok va vouloir régler le problème avec les russes pour impressionner Mook ? Tant de questions en suspens… vivement l’épisode final. Vivement que quelqu’un meure !
The White Lotus saison 3, à partir du 17 février 2025 sur HBO Max