Entretien avec Pauline Loquès, réalisatrice de Nino | 2025
Rencontrer Pauline Loquès à Cannes, c’est entrer dans l’intensité d’un premier film projeté à la Semaine de la Critique, à peine terminé quinze jours plus tôt. Nous la retrouvons sur la Croisette Beach, dans l’agitation des interviews où l’on croise au passage Théodore Pellerin et William Lebghil. Elle nous raconte sa fatigue et l’épreuve que représente ce premier festival. Très vite la conversation s’oriente vers ce qui lui tient le plus à cœur : ses acteur·ices, leur présence, leur justesse, et le travail collectif qui a porté le film. Quelques mois plus tard, alors que le film commence à circuler et à rencontrer son public avant sa sortie nationale le 17 septembre prochain, nous la revoyons afin de poursuivre l’échange – cette fois autour de sa place de jeune cinéaste de quarante ans, une position encore à conquérir, traversée de doutes, d’élans, et d’une lucidité précieuse sur le cinéma tel qu’il se fabrique aujourd’hui.
Tsounami : Ce qui frappe en premier, c’est la façon dont tu isoles Nino en dehors de chez lui. Pourquoi le priver « d’une chambre à soi » ?
Pauline Loquès : C’est une bonne question ! Il y avait une version du scénario où on la voyait au départ, cette chambre à soi, et maintenant, on ne voit plus du tout son intérieur. Je me suis dit que si on rentrait chez lui, il n’y aurait pas de film parce qu’il va envoyer un texto sous sa couette en demandant qui peut l’accompagner. Je trouvais ça intéressant de le mettre dans la ville, parce que Paris, c’est une ville très particulière. On en parlait tout à l’heure avec Théodore qui vit à Montréal, ce n’est pas du tout pareil. À Paris, quand on est dehors, c’est impossible d’être seul. Il y a toujours quelqu’un à deux ou trois mètres qui nous entend, qui nous regarde.
T : Il y a une impossibilité d’intimité.
PL : Exactement, impossibilité de refuge. Donc c’est pour ça qu’il se réfugie dans les toilettes du café par exemple. J’aimais bien le fait qu’il y ait toujours quelqu’un à quelques mètres de lui, pour le meilleur ou pour le pire.
T : C’est vrai qu’il croise plusieurs personnages dans son errance, et c’est fascinant de voir comme chacune des personnes et de ses interactions avec elles se produisent dans un temps très court. Elles accélèrent presque ses décisions et viennent faire comme un état des lieux de sa vie intime. Sa relation avec Mathieu Amalric par exemple est très belle, et en même temps si courte et loufoque !
PL : Et oui, parce que c’est difficile de savoir avec qui et comment on connecte ! Parfois on ne connecte pas du tout avec ses ami·es, ça ne marche pas, et parfois on va se dire quatre mots avec un·e inconnu·e et on va s’en rappeler pendant dix ans ! C’est l’exploration du moment et de ce que l’on peut saisir.
T : Pourquoi cette photo de Romy Schneider qu’il lui montre d’ailleurs ? C’était un hommage à la croisette, une touche rigolote ?
PL : Alors c’est une photo de Romy Schneider dans Les choses de la vie (Claude Sautet, 1970, ndlr), et c’est un titre que j’aurais pu donner à Nino si c’était pas déjà pris *rires* ! J’aimais le naturel de Mathieu à ce moment là et le fait qu’il soit encore bloqué sur cette femme là, cette icône, et en même temps cette femme très simple.
T : Est-ce qu’on peut parler aussi du choix de Jeanne Balibar pour incarner la mère de Nino ? Elle a été mariée à Mathieu Amalric qui incarne ce monsieur un peu « fou » qui apprend à Nino à se raser, presque comme un père fantôme.
PL : Oui ! On a pensé à Jeanne d’abord parce que c’est une grande actrice que j’adore, puis je trouvais qu’il y avait une proximité physique avec Théodore : les cheveux noirs et courts, les traits du visage… J’aimais bien parce que je me disais qu’elle allait un peu le bousculer dans son jeu. Pour Mathieu, je n’arrêtais pas de dire « pour le type des bains douches qu’il rencontre il nous faudrait un Mathieu Amalric ». Au bout d’un moment, la directrice de casting m’a dit qu’il fallait simplement lui demander *rires* ! Et il a dit oui. Il a seulement lu sa scène, il ne voulait pas voir le reste du film, parce que son personnage n’est pas au courant de ce que vit Nino dans le film.
T : Finalement, il est juste une incursion dans son histoire.
PL : Oui, et puis il ne sait vraiment pas ce que vit le personnage ! Même encore maintenant, il n’a toujours pas vu le film. Puis tout était un peu lié : par exemple le cadeau de sa mère, la photo qui est sur le coussin, c’est le vrai papa de Théodore. Son père ressemble aussi à Mathieu, donc il y avait vraiment quelque chose de l’ordre de l’entrelacement des existences.
T : Ce personnage sans nom reste comme bloqué dans le passé, le deuil. Tous les personnages sont très mélancoliques, mais le film ne se passe pourtant que sur trois jours. Pourquoi avoir choisi une temporalité aussi brève ?
PL : C’est un équilibre à trouver. Ce sont les films que j’aime le plus en tant que spectatrice. Richard Linklater, Joachim Trier avec Oslo, 31 Août (2011)… J’aime bien ces explorations chroniques, où tu suis vraiment le personnage. Il n’y a pas de facilités, c’est à dire qu’on ne peut pas choisir, il y a des moments où on est obligé de les vivre, de se pointer à tel anniversaire, de voir telle personne… On peut vite se créer nous même des récits, des moments forts. J’avais envie d’aller sur la banalité, donc entre ces deux grands moments, l’annonce du diagnostic et le début du traitement. Je me disais « ah, c’est quoi ces trois quatre jours ? ». Et mettre en avant la drôlerie aussi, parce que la vie continue. Mais aussi les moments où on oublie qu’il est malade.
T : Un droit à la légèreté finalement ? Tu n’accable pas le personnage. On peut y voir un rapprochement avec Le Feu Follet de Louis Malle (1963).
PL : Oui, je l’ai lu il y a des années (le livre éponyme de Pierre Drieu la Rochelle, ndlr) ! Et à chaque fois, je m’arrêtais de le lire avant la fin. Ensuite ça a été adapté par Louis Malle. D’ailleurs Oslo 31 août est une variation du Feu Follet ! Ça m’a toujours inspiré, cet homme qui va au contact des autres pour continuer à vivre, qui peut encore trouver du charme à l’existence, mais la fin est quand même tragique. Je voulais cette exploration là mais avec une fin beaucoup plus lumineuse.
T : Il y a quelque chose de l’ordre de la survivance, que tu fais passer par la fertilité, la parentalité. Jeanne Balibar qui joue sa mère est très émouvante là dessus.
PL : Quand elle a tourné ses scènes c’était un plan séquence, c’était pas prévu dans le scénario, elle m’a dit « si tu me fais parler de la maternité, je pleure », elle a deux fils… Il y avait quelque chose de très naturel pour elle dans son rapport avec Théodore.
T : Tu avais eu un coup de foudre pour Théodore ?
PL : Oui, vraiment ! Coup de foudre amical, humain, artistique, c’est un grand ami maintenant. Je suis fascinée par la figure de l’acteur, je suis fascinée par l’être humain, par sa gentillesse, son humanité. Quand je l’ai rencontré je me suis dit « qu’il avait vraiment tout de Nino », avec des variations évidement, on a beaucoup travaillé, et je me suis dit « ok, il faut que les gens le voient à l’écran comme moi je le vois ». Il me donne toujours un peu envie de pleurer *rires*..!
T : Oui, il y a beaucoup de sincérité dans son jeu. À chacune de ses apparitions, on sent comme un basculement émotionnel. Sa tendresse envers sa mère, le deuil lié à la perte de son père, et en miroir, cette idée que sa mère devra peut-être un jour faire le deuil de son fils, que le cancer revienne ou non. Tout cela crée une impression d’urgence, un tiraillement entre la paternité, la filiation et l’enfance, comme s’il restait coincé entre ces états. Et le petit bracelet de bébé qu’elle conserve rend tout cela encore plus bouleversant.
PL : Je suis contente, je tenais vraiment à ce que ce soit l’image forte du film. Que cette chambre (celle du traitement de chimio de Nino, ndlr) ressemble un peu à une chambre de maternité. Lui, il est à un croisement : encore le fils de sa mère, mais déjà projeté dans une sorte d’horloge biologique.
T : D’habitude ce sont plutôt les femmes à qui on rappelle cette horloge biologique. Est-ce que ça fait écho à ton propre vécu ?
PL : J’ai perdu quelqu’un d’un cancer dans ma famille, dans sa trentaine. Au début de la maladie, je trouvais fou qu’on lui propose un prélèvement de sperme « au cas où ». C’était à la fois bouleversant, parce que cela ouvrait une projection vers la vie, et troublant d’anticiper une survivance alors même que la sienne restait incertaine. C’est très existentialiste d’un coup ! Et quand j’ai écrit Nino, peut-être dans une démarche de crédibilité, je me suis dit « on va lui demander ça de toute façon, alors autant explorer cette piste là ». Et ça me faisait un peu marrer aussi, qu’il s’agite comme ça à trente ans pour ces questions-là.
T : Et pourtant, un peu par hasard, il se retrouve face à son passé d’enfant avec cette amie (Salomé Dewaels) recroisée au café. Elle a un fils, à qui il lit une histoire, rejouant la posture du père, du compagnon, si naturelle pour lui.
PL : J’avais vraiment envie qu’il se surprenne lui-même à être capable d’inventer une histoire.
T : C’était de l’improvisation ?
PL : Alors non, il a dévié, mais c’est marrant parce que c’est une scène que j’ai écrite une fois et que je n’ai plus jamais relue jusqu’au tournage. Il fallait aussi voir ce qui marchait chez l’enfant, il a pris le bon ton, puis il s’est laissé surprendre d’être capable d’endormir un enfant.
T : Même avant de pouvoir être père. C’est la tendresse et l’érotisme parlé que lui adresse son amie d’enfance qui lui permet ensuite de jouir pour pouvoir conserver son sperme.
PL : Ils ont une grande confiance, une grande connexion. Puis il est très touché que quelqu’un puisse faire ça pour lui ! Ils se sont perdus de vue depuis des années, mais à un moment elle lui dit qu’elle se souvient quand il a perdu son père au collège. C’est très marquant de perdre un parent si jeune. Puis elle a une sorte d’ouverture à la parole très facile, donc il se sent complètement en confiance, ils n’ont pas besoin de beaucoup se parler pour que finalement elle l’amène vers ça : vers la jouissance, vers le lâcher prise. Il en a le droit.
T : Il est finalement assez ouvert. Au début, forcément, un peu sous le choc que la médecin lui annonce qu’il a un cancer, et de la manière dont elle lui annonce aussi…
PL : C’est le cas de tellement de gens ! Quand j’étais en cours de montage j’ai demandé à plein de gens, des amis, ce qu’ils en pensaient, et la scène crispait beaucoup. Certains disaient « oulah ça ne peut pas se passer comme ça », et ceux qui l’avaient vécu disaient que justement ça se passe exactement comme ça. Sans jeter la pierre, j’ai essayé de faire une jeune médecin où on comprend qu’elle est fatiguée, qu’elle a un mauvais matos, mais qui veut quand même que la solution du traitement ne traîne pas trop.
T : D’ailleurs, trois jours après, la chimio commence !
PL : C’est ça, c’est rapide. « Vous êtes jeune, vous êtes prioritaire, on va commencer dès maintenant ». On ne jette pas la pierre aux médecins, mais c’est une réalité. Ils font ce qu’ils peuvent, c’est très difficile, ils ne peuvent pas avoir l’empathie nécessaire ou alors s’effondrer devant les patients.
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T : Comment ça va depuis Cannes ?
PL : Très bien franchement, on est supers contents, le film sort dans 15 jours… C’est encore une autre étape : Cannes c’était plutôt pour présenter le film à la profession, mais là, c’est bientôt au tour du public. C’est excitant !
T : Nino a depuis été montré au Champs-Elysées Film Festival, au Festival de Valbonne, au festival de Lama, bientôt à Deauville, à Toronto dans quelques jours…
PL : Oui on l’a montré dans les festivals cet été, on commence à le montrer en salles. C’est intéressant de voir qui vient, quelles questions sont posées. C’est un film intime quand même, je m’en rends compte, les gens parlent très peu de cinéma et beaucoup de la vie au moment des échanges. C’est drôle.
T : Tu deviens presque la confidente des spectateurices ?
PL : J’adorerais ! Franchement, c’est ce que je disais : j’étais journaliste et j’adore la pratique de l’entretien. Ce sont des moments précieux de dialogue et d’intimité. Et puis oui, ça résonne avec des choses très personnelles, à plein de niveaux – au-delà de la maladie, dans la relation mère-fils, dans l’amitié… Ça ouvre des dialogues, des espaces. Je suis vraiment contente de les faire à chaque fois, et particulièrement sur ce film.
T : Tu disais à Cannes que c’était un film très intime, inspiré d’un moment douloureux de ta vie. Qu’est-ce que ça fait maintenant de le donner à voir au public ?
PL : J’ai déjà eu l’impression de le lâcher à Cannes. Le film est fait, maintenant il entre en résonance : c’est la continuité du travail. On écrit seul, puis avec l’équipe technique on ouvre la discussion sur l’amour, la vie, la famille, la mort. C’est un peu LE film qui permet de parler de l’existence *rires* ! Je n’ai pas peur de le laisser aller, je suis au contraire heureuse qu’il trouve des échos.
T : À Cannes, tu avais fini le montage quelques jours avant de le montrer. Il a reçu un très bel accueil, et un prix d’interprétation pour Théodore. Le film recevra bientôt le Prix d’Ornano-Valenti à Deauville, qu’est-ce que ça te fait qu’il soit vu, accueilli et apprécié ?
PL : La Semaine de la Critique et le Prix d’Ornano-Valenti, c’est pour les premiers films, et je ne mesurais pas le fait qu’il y ait autant de prix possibles ! C’est moins le cas après, c’est beaucoup d’encouragements aussi, en tout cas je le prends vraiment comme ça. Ça me donne de la confiance pour en faire un autre ! C’est une sorte de petite tape sur l’épaule.
T : C’est vrai qu’il y a encore le César du Premier film mais après c’est tout !
PL : Oui ! On a aussi eu le prix Pierre Chevalier, Jeune Cinéaste. Les premiers films sont vraiment chéris, c’est des compétitions à part. Ensuite le deuxième passe à la Semaine de la Critique et encore ! Donc il faut vraiment profiter, parce que c’est peut être plus dur de faire un premier film que les autres. Moi ça m’a pris du temps en tout cas, donc c’est bien d’avoir des encouragements. Il y a eu de très bon premiers films cette année, c’est très joyeux quand d’autres ont des prix aussi, une génération de jeune cinéaste comme pour L’engloutie de Louise Hémon par exemple, récompensée au Champs Élysées Film Festival et du Prix Jean Vigo ! Alice Douard aussi qui à présenté Des preuves d’amour à la Semaine de la Critique, de ces femmes cinéastes qui font leur premiers films… je suis entourée de réalisatrices géniales !
T : Il y a une sorte d’effervescence qui se crée !
PL : Oui, il y a vraiment un effet de « Promo Cannes 2025 » *rires* ! Nos films sortent la même année, moi en septembre, Alice en novembre et Louise en décembre. Il y a un effet de soutien, on se supporte beaucoup dans la création, il y a de la place pour tout le monde. C’est pas parce que t’es pas dans telle compétition à Cannes que tu n’auras pas un succès public. Alice me disait qu’elle serait à mon 9h des Halles et vice-versa.
T : Combien de temps tu avais mis pour construire Nino de l’écriture à sa présentation à Cannes ?
PL : Honnêtement, ça a été long. Il fallait d’abord me convaincre moi-même *rires*, puis ensuite convaincre les partenaires financiers, les producteurs, les distributeurs de me suivre sur le film. Il y a aussi eu un long temps de maturation, mais je ne suis pas non plus sure que je ferai le deuxième film « rapidement » en 2 ans. J’ai bien aimé que ça mature.
T : Peut-être que c’est le temps qu’il fallait pour qu’il ait de la substance, que tu rencontres Théodore…
PL : Oui puis il y a vraiment un truc d’âge : je n’aurais pas pu faire ce film à 33 ans, je ne suis tellement pas la même personne. Entre 20 et 30 ans tu changes évidemment, mais alors entre 30 et 40 ans ! Heureusement que j’ai attendu d’avoir compris des choses personnelles, parce que ça n’aurait pas du tout été le même film ! C’est une toute autre énergie, tu mets ce qui te travaille à ce moment-là, et puis avec le temps tu comprends aussi des choses en écrivant.
T : Camus disait qu’on ne pouvait rien écrire de bon avant 30 ans.
PL : On a souvent le fantasme de Xavier Dolan qui à 19 ans fait un chef d’œuvre. Il nous a tous·tes trauma *rires*! « Moi j’ai 22 ans c’est fini »: ça a donné des complexes à tout le monde ! Il a été très productif pendant des années, une forme de fulgurance, d’urgence, et maintenant moins. Chez les femmes, c’est parfois différent je trouve, parce qu’on se dit que même si on n’est pas toutes pareilles, qu’il faut faire des enfants, ça prend du temps… Amélie Bonin (réalisatrice de Partir un jour, ndlr), disait qu’on peut avoir 40 ans et se sentir au tout début de quelque chose, je trouve ça très juste, d’être jeune cinéaste, mais avec la maturité et l’énergie d’une femme de 40 ans.
T : Maturité qui est importante, on a souvent tendance à valoriser la jeunesse, la vingtaine, le fait d’être « frais », « dans le coup ». On peut avoir tendance à oublier que la moyenne d’âge du métier c’est plutôt 40 ou 50 ans, et que Xavier Dolan c’est l’exception. Elle persiste malgré tout cette « peur » de la femme expérimentée, mature, réfléchie…
PL : C’est vrai ! Chez les hommes, il y a par exemple Nathan Ambrosioni (réalisateur de Les drapeaux de papier, 2018 et de Toni en famille, 2023, nldr) qui est hyper jeune, mais chez les jeunes femmes, je sais pas, il y a Rebecca Zlotowski qui a fait des films très jeune en sortant de la Fémis. Ça dépend vraiment des urgences intimes de chacun·es : je pense qu’elle avait besoin de dire quelque chose sur sa mère, sur son deuil. Chaque chose que l’on fait est une petite pierre vers le chemin du film. J’ai fait beaucoup d’interviews en tant que journaliste par exemple, et ça m’a beaucoup servi, ce n’est jamais du temps perdu.
T : Est-ce que tout ce chemin t’a aidé dans ton deuil ?
PL : Oui, on ne dit jamais que l’on a « fait son deuil », c’est un sentiment permanent et changeant. Par exemple, à chaque fois que je vois son nom à la fin du générique, ça me fait toujours quelque chose. Et en même temps, ça permet de ne pas oublier quelqu’un, d’y penser tous les jours pendant 4 ans, ce qui peut aussi être périlleux. Mais je le voyais vraiment comme un hommage. C’est ça qui est difficile avec le deuil : au bout d’un moment ça passe, ça revient par vague, puis parfois tu culpabilises de te dire « ça fait un mois que je n’y ai pas pensé ». Le travail du film, c’était un moyen d’y penser sans être triste, de ne pas culpabiliser, de me dire « il ne me manque plus tellement », et heureusement ! Je me suis permise d’y penser, à cette figure du jeune homme, comme un sujet de création, une forme de transformation positive. Pendant la fabrication du film aussi, beaucoup de gens de l’équipe ne savaient pas que j’avais perdu quelqu’un d’un cancer. Le film est un hommage, et maintenant j’ai l’impression que je peux passer à autre chose en terme de création.
T : Tu as des idées pour un prochain film ?
PL : Alors il y a quelque chose qui est apparu dans le film dont je ne me rendais pas vraiment compte : c’est toutes ces femmes autours de Nino, le rapport à la maternité, à la parentalité. Je ne l’avais pas trop vu au moment de l’écriture, et c’est Théodore qui m’a dit « c’est vraiment un film sur la parentalité ». À l’écriture je me disais que « non, non c’est un film sur le cancer, le mal-être »… Il y a de la filiation partout au final, mais je ne l’avais pas vu. J’ai mis un peu de moi dans le personnage de Nino, et aussi dans le personnage de Zoé (Salomé Dewaels). Le prochain film sera certainement un film plus proche de moi, un portrait de femme, ça me donne envie. Puis je trouve que ces questions là, comment être mère, femme, artiste, indépendante, amoureuse, sont importantes. Ce sont des choses que je ne vois que partiellement au cinéma, donc je pense que ce sera surtout un film sur la maternité.
Entretiens réalisés le 19 mai 2025 à Cannes puis le 3 septembre à Paris
Retranscription : Zoé Schulthess Marquet