Poème | Événement Chantal Akerman
Longtemps j’ai voulu écrire sur mon rapport à Chantal Akerman.
Comme s’il y avait un rapport entre nous.
Comme s’il y avait quelque chose qui nous liait.
Comme s’il y avait quelque chose à en dire.
Je suis plus attachée à elle, qu’à son art.
Quand je regarde un film, c’est elle que je vois, c’est son geste.
Dans chaque dialogue, chaque mouvement de caméra, chaque sourcil froncé d’une actrice.
C’est elle que je vois. C’est son geste.
Longtemps je ne me suis pas intéressée aux artistes, seulement à leurs œuvres.
Lorsque j’ai découvert Je Tu Il Elle à dix-huit ans, je voulais tout savoir d’elle.
Alors j’ai tout écumé. J’ai tout lu. J’ai tout acheté.
Ma chambre est devenue son mausolée.
Mon esprit est son mausolée.
C’est étrange une obsession.
Elle apparaît comme ça, du jour au lendemain.
Elle s’immisce, nous percute.
Et alors un visage, un prénom, devient un nouveau centre de gravité.
Je pense à elle quand je n’ai plus l’énergie d’écrire.
Je la vois dans ce que j’imagine être son appartement de Ménilmontant.
Je la vois, assise dans la cuisine, une cigarette à la bouche, écrire parce qu’elle n’a pas le choix.
Je la vois penser, imaginer, créer, et alors je m’y remets.
Je pense à elle quand je n’ai plus l’énergie de croire au cinéma.
Je la vois dans ce que j’imagine être ses premiers jours à New-York.
Je la vois, face aux œuvres de Jonas Mekas, Michael Snow, touchée.
Je la vois se dire que c’est nécessaire, puisque ça la met en mouvement. Alors j’y crois.
Je pense souvent à elle, ce qu’elle ferait, ce qu’elle penserait. Je me sens guidée.
Certainement parce qu’on partage deux choses.
Les parents immigrés. L’homosexualité.
On aimerait que ça soit simple, mais ça préoccupe quand même.
Même si ça n’est pas du tout la même histoire, la même époque…
Je vais régulièrement au Père-Lachaise pour la voir.
Je ne prends jamais de plan.
Je laisse la mémoire de mon corps me guider à travers les allées.
Je ne veux pas précipiter nos retrouvailles.
Sa tombe est dissimulée.
Il y a souvent des plantes.
Dessus est gravé Cinéaste.
Elle était tellement plus.
Fille.
Amante.
Écrivain.
Boussole pour celles qui n’avaient jamais vu deux femmes s’aimer sincèrement à l’écran.
C’est étrange une obsession.