Retour sur le Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg │20 au 29 septembre 2024
41 longs-métrages en avant-première, 32 films de patrimoine répartis à travers diverses rétrospectives et séances spéciales, 41 courts-métrages : voilà ce que proposait cette année la 17ème édition du Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg. Les journées n’ayant que 24 heures et l’abnégation ses limites, on comprend aisément la difficulté de tout voir et ce retour ne pourra donc prétendre à l’exhaustivité.
Au-delà des chiffres, le FEFFS permet surtout de prendre le pouls du cinéma de genre mondial à travers des propositions diverses ne se cantonnant pas au strict fantastique. Ainsi, les longs-métrages sont répartis en 3 compétitions : la compétition internationale de films fantastiques bien sûr, mais aussi la compétition Crossovers accueillant des films de genre plus variés (thrillers, néo-noirs, drames psychologiques…) et enfin la compétition de films d’animation. Se rajoute à ces trois compétitions une section Midnight Movies regroupant des films déjantés, absurdes ou extrêmes ; tout ce qui est trop bizarre (ou trop mauvais) pour figurer dans une autre section en somme.
Sylvia Plath et les bestioles
Face à cette quantité et diversité de films, se dégage-t-il tout de même des thématiques ou obsessions communes ? On peut d’abord s’amuser à remarquer quelques curieuses récurrences : l’écrivaine et poétesse Sylvia Plath par exemple, a son importance dans l’intrigue de deux films d’animation. Dans Mémoires d’un escargot (Adam Elliot, Cigogne d’Or de la compétition animation), la jeune Grace nomme son escargot favori Sylvia pour rendre hommage à l’écrivaine préférée de sa mère décédée. Si le film regorge de références littéraires (souvent l’objet de gags savoureux et intelligents, permettant de caractériser les personnages par leurs lectures), le choix de faire de Sylvia Plath un personnage central est assez pertinent : comme la poétesse et son oeuvre, Grace est habitée par la dépression, le désespoir, la colère. Dans la manière de raconter sa vie tumultueuse (à Sylvia l’escargot !), comme dans la manière dont Adam Elliot la met en scène, transparaît une poésie tantôt déprimante, tantôt douce-amère, parfois même malicieuse et finalement – pourquoi pas ? lumineuse. Pig That Survived Mouth-and-Foot-Disease (Compétition animation, Hur Bum-Wook), appuie plus encore la référence, dressant un parallèle entre Plath et l’univers du film profondément noir dans lequel tous les personnages subissent atrocités sur atrocités, sombrant dans la folie ou les tendances suicidaires. Il est cohérent donc d’y voir une petite fille se pendre à un arbre, un poème de Sylvia Plath à la main ; hélas, par sa noirceur toujours plus extrême, sa laideur graphique et sa bêtise, le film manque finalement cruellement de la moindre trace de poésie.
Autre coïncidence inattendue, plus récurrente encore : les cochons. S’il ne fait pas bon être un kangourou dans la rétrospective Ozploitation (voir l’article à ce sujet), mieux vaut ne pas être un porc dans les avant-premières du festival : sacrifiés pour calmer les esprits dans Exhuma (Jang Jae-hyun), envoyés dans une autre dimension et ramenés sous forme de chair sanguinolente à peine vivante dans She Loved Blossoms More (Yannis Veslemes) ; ils se voient également massacrés par une famille sectaire dans Mémoires d’un escargot, par un revenant monstrueux dans Exhuma (encore) ou par un gendarme dans le Maldoror de Fabrice du Welz. Ici encore, la palme de l’atroce revient à Pig That Survived Mouth-and-Foot-Disease dont la traduction littérale serait Le cochon qui a survécu à la fièvre aphteuse, maladie animale pouvant s’avérer particulièrement contagieuse et dangereuse. Le film s’ouvre donc sur un gigantesque charnier dans lequel sont enterrés vivants des centaines de porcs pour anéantir les risques de contagion, et a pour personnage principal le fameux cochon qui a survécu à la maladie (sans blague) et à l’enterrement vivant. Mué en semi-humain, il subit et fait subir à ses camarades sangliers les pires supplices et métamorphoses. La récurrence de ces divers massacres porcins permet de dresser un constat – sans doute non-intentionnel de la part de la plupart des cinéastes concernés – sur la condition porcine dans les sociétés humaines : symboles par excellence de l’élevage intensif, moins visibles (car dans leur immense majorité strictement élevés hors-sol) et détenant moins de capital sympathie que leurs camarades bovins, ovins ou caprins, les cochons semblent n’être bons qu’à se faire massacrer, à n’être jamais rien de plus que du bétail.
Si les porcs sont particulièrement maltraités dans la sélection de cette année, les autres animaux ne sont pas non plus épargnés. Contrairement aux cochons dont la forte récurrence appelle une vision globale – on peut toutefois également déceler un discours antispéciste dans Animale d’Emma Benestan, où un parallèle est fait entre taureaux marqués de force pour participer aux courses camarguaises et le viol subi par la protagoniste – les autres meurtres de bestioles sont eux cantonnés à une intention spécifique à chacun des films dans lesquels ils interviennent : marquer la perte définitive de toute humanité chez une revenante qui étrangle un lapin dans Handling the Undead (Thea Hvistendahl), créer un effet comique d’horreur absurde chez la chèvre satanique renversée dans Handsome Guys (Nam Dong-hyub) ou le chien abattu de manière grand-guignolesque par un criminel russe imbibé dans Krazy House (Steffen Haars & Flip van Der Kuil). Face à ces massacres de bestioles en tout genre, le seul film permettant un retour apaisé à la faune semble être Flow (Gints Zilbalodis), magnifique film d’animation letton muet sur le périple d’un chat forcé de naviguer sur une coquille de noix après une brusque montée des eaux, en compagnie d’une galerie d’animaux digne de l’arche de Noé. La mort n’y est toutefois pas absente, mais là où elle est brutale et violente dans les autres films de la compétition, elle y est ici douce et chargée d’empathie.
Faire revivre les morts
Références littéraires et cochons : tout cela est bien joli mais ne constitue jamais plus qu’un sous-texte. Qu’en est-il des thématiques principales ? En se concentrant sur la compétition fantastique, on ne peut être que frappé de l’omniprésence de la mort. Bien sûr, comment passer outre dans le genre fantastique ? Si l’inconnu, l’inexplicable, le surnaturel, en un mot le fantastique est source de tant de fascination, crée tant d’inquiétude ou d’horreur, c’est parce qu’il est toujours un danger potentiel dont il faut cerner les contours ; et le genre fantastique dans son ensemble (au cinéma comme en littérature) est donc de fait habité par l’ombre la plus affreuse, comme le formulerait Rimbaud. Toutefois, parmi le lot de créatures, entités ou motifs propres au genre, tous n’ont pas un lien direct avec l’au-delà : sorcières, loups-garous, démons et monstres de tous acabits causent la mort mais n’en sont pas ses représentants. Les spectres, revenants et autres zombies – en un mot : les morts-vivants – sont quant à eux des figures plus inquiétantes encore, incarnations de la faucheuse elle-même, et leur omniprésence dans la sélection de l’année vaut donc le coup de s’y attarder.
Certaines approches s’avèrent assez classiques : Exhuma par exemple met en scène (avec plus de brio que d’ordinaire) un quatuor de chamanes et médiums – cousins coréens des démonologues de Conjuring (James Wan, 2013) – dont le travail consiste à apaiser les esprits des défunts pour leur permettre de rejoindre sereinement l’au-delà. En exhumant un ex-humain à la sépulture inhabituelle, ils libèrent bien évidemment un (des ?) spectre en colère qu’ils vont devoir s’empresser de conjurer. The Damned (Thordur Palsson) voit lui aussi un spectre vengeur (un draugr, variation islandaise de la mythologie fantomatique) menacer une communauté de pêcheurs qui l’a laissé se noyer avec ses camarades sans leur porter secours. Oddity (Damian McCarthy) présente aussi un fantôme des plus classiques dans le cinéma horrifique : celui d’une femme assassinée qui hante le lieu où elle est morte dans l’espoir de voir ses meurtriers démasqués et pour protéger d’éventuelles futures victimes. A ces figures habituelles, on peut aussi rajouter le consternant Mr. Crocket (Brandon Espy) programmé dans la sélection Midnight Movies dont le personnage éponyme est un croque-mitaine des plus banals, meurtrier revenu de l’enfer pour hanter la télévision des bambins et massacrer leurs parents.
Bien qu’il se situe toujours dans le registre spectral, Dead Talents Society propose quant à lui une variation plus singulière de la figure de fantômes : l’histoire racontée ici n’est pas celle de vivants interagissant avec les morts mais le contraire. Les héros de cette comédie horrifique sont ici les fantômes organisés en une société qui exige d’eux qu’ils terrifient les vivants pour ne pas disparaître à jamais (l’au-delà ne serait donc qu’une étape transitoire avant un autre au-delà ?) : c’est là le seul moyen qu’on se souvienne d’eux. Contrairement aux fantômes d’Exhuma fâchés qu’on ait essayé de les oublier, ceux de Dead Talents Society n’ont ainsi droit à leur vie après la mort qu’en tant que souvenir – et le moyen le plus simple pour que les vivants les gardent bien en mémoire est donc de les terrifier.
En dehors des histoires de spectres, la question de la nature de l’au-delà se retrouve également dans d’autres films : les thanatonautes de She Loved Blossoms More (Yannis Veslemes) ne sauraient se résoudre au deuil de leur mère et consacrent donc leur vie à construire une machine destinée à la ramener vivante dans leur réalité ; démarche, comme on s’en doute, vouée à l’échec. L’affligeant Timestalker (Alice Lowe) propose à la manière de La bête (Bertrand Bonello, 2024) l’histoire d’une obsession amoureuse à travers les époques et les résurrections de son personnage : la mort y est donc ici seulement une transition entre deux vies ; mais là non-plus l’immortalité totale de l’âme ne saurait être envisagée, le nombre de réincarnations ayant ses limites. La vie après la mort dans la fiction fantastique paraît ne jamais pouvoir relever d’une immortalité complète de l’âme. Serait-ce là la limite de l’imagination des cinéastes en la matière ?
On pourrait multiplier encore les exemples de vie après la mort (Another End de Piero Messina où un veuf retrouve son épouse incarnée dans un autre corps, Else de Thibault Emin où une pandémie métamorphose les malades en mélanges organico-minéraux voués à ne pas mourir mais à fusionner les uns avec les autres, I Saw the TV glow de Jane Schoenbrun où le personnage est confronté à l’impossible nécessité de faire le deuil de lui-même), mais une des approches les plus inédites provient sans doute de Handling the Undead (Thea Hvistendahl). Sous la forme d’un drame psychologique horrifique contemplatif rappelant un peu l’ambiance de la série The Leftovers (en moins virtuose), les morts reviennent à la vie mais hantent les vivants d’une manière inhabituelle. Un enfant tape sur le bois de son cercueil pour qu’on le sorte de sa tombe, une vieille dame morte de vieillesse retrouve le chemin de l’appartement qu’elle partageait avec sa compagne, une mère de famille s’éveille après un accident de la route ; et leurs proches s’imaginent un temps délivrés de leur deuil, deviennent obsédés par ce retour à la vie qu’ils n’ont même pas osé espérer. Les Undead, s’ils ne sont manifestement plus morts, ne sont pour autant plus vivants non plus : mutiques, amorphes, ils s’avèrent finalement être des zombies plus lents encore qu’à l’accoutumée. Peu importe toutefois leur nature : ce qui est central ici (et finalement dans toute histoire de revenants), c’est plutôt le deuil des vivants. Si la mort est si récurrente dans le cinéma fantastique, c’est sans doute parce qu’elle est en soi l’élément le plus fondamentalement incompréhensible, fantastique donc, de notre réalité. La fiction cherche à la conjurer mais ne saurait réussir cette entreprise : chaque fois que les morts reviennent à la vie, c’est pour permettre aux vivants de prendre conscience qu’il aurait mieux valu qu’ils restent dans leur tombe.