Retour sur la rétrospective « Ozploitation ! » organisée par le Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg
Le Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg consacrait cette année une rétrospective au cinéma australien des années 1970 et de la première moitié des années 1980. Sobrement intitulée « Ozploitation ! », elle proposait de redécouvrir 11 films rattachés aux deux mouvements parallèles et complémentaires qui firent revivre le cinéma australien lors de ces deux décennies : 7 d’ozploitation donc, la vague de films d’exploitation australiens (« Aussie » + exploitation = ozploitation) et 4 plutôt rattachés à la Nouvelle Vague Australienne. Le documentaire de référence sur l’ozploitation (à l’origine de la popularisation du terme) Not Quite Hollywood (Mark Hartley, 2008) était également programmé pour permettre d’introduire le mouvement ou d’en avoir une meilleure vue d’ensemble.
On pourrait, pour l’exercice, s’amuser à notifier les absences les plus notables de la rétrospective : Razorback (Russell Mulcahy, 1985) mettant en scène le cochon sauvage tueur le plus célèbre du cinéma, Patrick (Richard Franklin, 1978) et son tueur medium comateux, Wolf Creek (Greg McLean, 2005) ou encore l’une des suites de Mad Max (George Miller, 1979) si l’on avait voulu parler des héritiers de ce cinéma de ce genre. A titre plus personnel, on regretterait presque également l’absence de plusieurs formidables films de Peter Weir mais la bonne foi oblige de reconnaître que les deux proposés (Pique-Nique à Hanging Rock, 1975 et La dernière vague, 1977) sont de loin les plus essentiels de cette période.
Une fois ces regrets (puérils c’est vrai, mais quand on aime, on en veut plus !) évacués, on doit bien reconnaître que la sélection du FEFFS est plutôt exemplaire : les 7 films d’ozploitation contiennent les classiques incontournables – Mad Max bien sûr, plus illustre représentant du mouvement, Réveil dans la terreur (Ted Kotcheff, 1971) souvent considéré comme le point de départ de ce cinéma d’exploitation – ainsi que plusieurs films à (re)découvrir couvrant tous les genres qui ont été abordés durant ces deux décennies : horreur principalement, mais aussi action et même simili-western (south-eastern ? Tous les codes du genre y sont, outlaw, shérif, natives…) avec Mad Dog Morgan (Philippe Mora, 1976) ou même film policier de kung-fu (!) avec L’homme de Hong-Kong (Brian Trenchard-Smith, 1975). Quand à l’autre genre récurrent de ce cinéma, la comédie érotique misogyne bien datée, on ne saurait déplorer son absence au profit de bien meilleurs films.
Les 4 films issus de la Nouvelle Vague Australienne – les deux Weir donc, et les incontournables La randonnée (Nicolas Roeg, 1970) et Le chant de Jimmy Blacksmith (Fred Schepisi, 1978) – viennent compléter à merveille cette sélection, démontrant que les deux mouvements étaient finalement assez poreux et que la principale raison justifiant une telle distinction résidait surtout dans le plus grand sérieux (la plupart du temps) et surtout la meilleure présentabilité des films de la Nouvelle Vague.
Perdus dans le bush australien
Manifestations de cette porosité, Réveil dans la terreur est souvent rangé dans les deux mouvements et Peter Weir lui-même réalisera plusieurs films souvent rattachés à l’ozploitation (Les voitures qui ont mangé Paris, 1974 ou Le Plombier, 1979 ; La dernière vague y étant lui aussi parfois intégré). Quant à La randonnée, plus ancien film de ce corpus ex-aequo avec Réveil dans la terreur, il constitue une telle source évidente d’inspiration pour beaucoup de films d’ozploitation qu’on y retrouve déjà quelques-unes des thématiques et motifs de mise en scène les plus exploitées par le mouvement. Merveilleux voyage initiatique d’une grande poésie, il raconte l’histoire d’une adolescente et de son petit frère, forcés de survivre dans le bush australien suite au suicide de leur père qui a pris le soin d’incendier au préalable leur seul véhicule. Croisant la route d’un aborigène (David Gulpilil, portant presque à lui tout seul sur ses épaules le poids de l’incarnation de toute une ethnie dans l’ensemble du cinéma australien) réalisant son walkabout, le voyage qui lui permettra de passer à l’âge adulte, ils cheminent avec lui et apprennent à s’émanciper de la société qui a poussé leur père au suicide – et à la tentative de meurtre sur ses propres enfants. Le film est par ailleurs parsemé de gros plans sur la faune du bush vaquant à sa vie quotidienne, images qu’on pourrait qualifier de documentaires si elles ne remplissaient pas un rôle symbolique fonctionnel fort. Le montage parallèle rapproche ainsi cette faune de l’aborigène, considéré comme appartenant pleinement à cette nature là où les enfants occidentaux doivent petit à petit apprendre à la réintégrer, ce qui constitue l’un des motifs les plus récurrents de cette rétrospective.
Pique-Nique à Hanging Rock (voir Tsounami n°3) raconte, lui, l’histoire de 3 jeunes filles et une institutrice disparaissant de manière inexplicable, impossible même, dans un rocher un jour de Saint-Valentin. Il n’est pas interdit de penser cette disparition comme un retour à la nature marquant l’émancipation d’un monde (leur école) présenté comme inflexible, brutal et finalement déshumanisant. La dernière vague met quant à lui en scène des dérèglements météorologiques annonçant une apocalypse à venir ; mais seuls les aborigènes toujours liés profondément par leur culture à la nature sont capables de la voir venir. La nature australienne paraît donc toujours l’objet d’une dialectique passionnante : systématiquement présentée comme source de danger, de mystère et ultimement de mort, il est pourtant nécessaire de s’y réinclure, et les personnages les plus inhumains du cinéma australien sont souvent ceux ayant perdu ce lien jusqu’à vouloir le nier ou le détruire. On ne saurait ici faire l’impasse sur Long Weekend (Colin Eggleston, 1978), illustration la plus explicite de cette thématique. Survival horror inquiétant dans la lignée des Oiseaux (Alfred Hitchcock, 1963) ou des Dents de la mer (Steven Spielberg, 1975), le film raconte l’histoire d’un couple profondément antipathique au bord de la séparation qui passe un week-end prolongé à faire du camping sauvage au bord d’une plage qui jouxte une jungle. Percutant et roulant sur un kangourou sans remords dès le trajet aller, s’amusant à tirer sur tout ce qui bouge côté mari, méprisant chaque aspect de cette nature jusqu’à leur propre chien côté épouse, ils feront finalement l’objet d’une riposte impitoyable de la part de cette faune et flore sauvage dont il se sont complètement dissociés.
Les voitures vroom vroom
Une deuxième thématique omniprésente est déjà apparue en filigrane : celle des voitures. Dès le début de La randonnée, l’automobile familiale brûle et avec elle tous les repères des deux enfants livrés à eux-même. Le van du couple de Long Weekend roule à toute vitesse sur l’asphalte en dépit des kangourous qui la traversent, se fraye un chemin à travers la jungle en anéantissant toute forme de vie sur son passage, constitue le prolongement de l’irresponsabilité de ses conducteurs. Omniprésentes dans l’ozploitation, les voitures (et autres véhicules motorisés) portent donc elles aussi souvent un poids symbolique : face à la nature, elles sont l’extension la plus explicite des aspects les plus violents, brutaux et artificiels des sociétés humaines. Réveil dans la terreur pose dès 1971 certaines bases de la représentation cinématographique australienne de la voiture : dans ce thriller psychologique, un jeune professeur propre sur lui et bien éduqué se retrouve forcé d’enseigner dans un coin paumé du bush et se retrouve de passage dans la ville voisine de Bundanyabba. Quelques jours au contact des locaux à l’hospitalité débordante mais possédant tous les vices imaginables, suffiront à le transformer en épave alcoolique et violente. La scène pivot révélant la nature profondément brutale et dangereuse de ces hommes (là où ils auraient pu jusque là passer pour de sympathiques alcooliques excentriques un brin borderlines) se passe dans une jeep dans le bush où notre protagoniste et 3 compères opèrent un massacre à grande échelle de kangourous. Debout dans cette voiture qui roule à toute vitesse (au mépris même de la sécurité de ses occupants), ils tirent à bout portant sur les marsupiaux pour aller ensuite les achever au couteau au corps-à-corps.
Grosses bagnoles vs. nature sauvage, le contraste est donc souvent assez explicite, et a tant infusé dans l’imaginaire collectif australien qu’on retrouve parfois même cette dichotomie dans des films qui ne traitent ni de l’un ni de l’autre ; c’est déjà en soi le cas de Réveil dans la terreur, mais on peut aussi mentionner Next of Kin (Tony Williams, 1982), l’un des meilleurs films d’horreur qu’a engendré l’ozploitation. Dans ce récit d’une jeune fille héritant de la maison de retraite tenue par sa mère dans laquelle surviennent d’étranges décès, rien ne paraît rattacher a priori à nos deux thématiques. Pourtant, de nombreux plans fugaces de nature rappellent La randonnée : une araignée installée dans sa toile par ici, un couple se baignant nu dans l’eau par là. Quant au rapport avec la voiture, on retiendra notamment cette image sur laquelle le film ne s’attarde pas mais qui est pourtant bien présente : une carcasse de voiture abandonnée dans la forêt envahie par les plantes. Quelle meilleure image pour représenter cette dualité ?
Il faut bien le reconnaître toutefois, la voiture dans l’ozploitation est loin de n’être construite qu’en opposition avec la nature ; elle est parfois aussi le prolongement du membre viril de celui qui la conduit – dans Next of Kin toujours, l’un des personnages s’exhibe en doublant la protagoniste à bord de son gros camion, et on pense ici évidemment également à l’ensemble de la saga Mad Max – ou un moyen de survie. C’est qu’à pied, dans le bush, on ne va pas bien loin – à moins de tomber sur David Gulpilil pour donner un coup de main. C’est d’ailleurs l’outil de travail du camionneur de l’excellent Déviation Mortelle (Richard Franklin, 1981), littéralement son moyen de survie donc, qui lui permet de traverser les routes désertiques pour effectuer ses livraisons et à bord duquel il sera témoin des agissements d’un potentiel tueur en série.
On pourrait sans doute s’attacher encore longtemps à explorer les multiples symbolismes entourant les véhicules australiens, mais on ne saurait tourner autour du pot plus longtemps : si la voiture est si présente, c’est aussi et avant tout parce qu’elle permet de tourner des scènes « cool » (comme l’énonce sobrement Quentin Tarantino dans Not Quite Hollywood). De Déviation Mortelle à Mad Max en passant par L’homme de Hong Kong ou même Next of Kin, les accrochages de bagnoles ou de leurs cousins à deux roues sont légion, les accidents de la route du grand spectacle et les explosions finales une réjouissance. Cascades en tout genre accompagnent par ailleurs ces feux d’artifice de tôle froissée et de pneus volants, et le casse-cou le plus célèbre du cinéma australien (Grant Page) a un palmarès à faire pâlir Jackie Chan : multiples accidents de la route dans L’homme de Hong Kong ou dans Mad Max (réalisés avec une jambe dans le plâtre), saut d’une falaise en torche humaine dans Mad Dog Morgan… Car, intellectualisons-le comme on veut mais l’ozploitation reste avant tout comme son nom l’indique un cinéma d’exploitation, c’est-à-dire porté sur un rapide succès en salles en offrant au public ce qu’il veut voir : du grand spectacle.
On l’a vu, cela n’exclut évidemment pas de faire des films de qualité, mais le documentaire Not Quite Hollywood le rappelle hélas : les films de cette rétrospective ne sont finalement que la partie émergée de l’iceberg et une grande majorité des oeuvres produites dans le cadre de ce mouvement étaient d’une nullité tout à fait indiscutable. Postulant que l’ozploitation serait née par et en réaction à Réveil dans la terreur, l’Australie et ses habitants y étant dépeints (par un réalisateur américain qui plus est) de manière assez négative, le documentaire explique que plusieurs cinéastes et décisionnaires australiens comprirent alors qu’il n’appartenait qu’à eux de filmer leur pays. Au vu de certains des films traités dans le documentaire, et des témoignages de certains cinéastes (n’ayant par exemple pas le moindre début de regard critique sur le profond sexisme dans les films qu’ils réalisaient 30 ans auparavant, reconnaissant amusés que ce soit un miracle que personne ne soit mort sur leurs plateaux), on ne peut s’empêcher de se dire que finalement, le portrait fait par Réveil dans la terreur contient sa part de vérité. Pour le spectateur, qu’importe toutefois ! Pour les films qui valent encore le coup d’être projetés, le cool est toujours palpable 50 ans après, les cascades toujours impressionnantes et certains d’entre eux continuent de faire mentir cet aspect strictement régressif de l’ozploitation. Pour le reste, oublions les films qui ne valent pas qu’on s’en souvienne et attachons-nous à regarder les autres : ils sont suffisamment nombreux.