Critique | Festival de Cannes 2023 | Sélection Officielle (ouverture)
Jeanne du Barry dévoile ses intentions dès la première rencontre avec le roi. Le film aurait pu détailler ce qu’il s’échine parfois à montrer, essentiellement la vie protocolaire de la cour de France, avec ses femmes, qui sont tout autant faiseuses que victimes de ce jeu. En d’autres termes, Maïwenn aurait pu profiter de cet argent, de sa débauche de costume, de l’orfèvrerie technique et du château de Versailles, pour faire un film d’époque, avec toutes les contraintes que supposent cet exercice, et peut-être ainsi avec l’envie de toucher du doigt ce que pouvait être la vie contrainte des aristocrates et courtisanes au 18e siècle.
Or, dès la première rencontre, les intentions sont claires. Maïwenn nous jouera une fable. Cette fable est faite de ce que les bourgeois affectionnent tant : la différence, la singularité. Selon Maïwenn, c’est parce que Jeanne du Barry était un esprit libre, sourd aux protocoles, que le roi la choisit comme favorite… On se doute bien que ce n’est pas le cas. Rien n’a plus horreur de la vraie singularité que la bourgeoisie. La singularité, oui, mais tout de même avec les codes, tout de même un peu comme il faut. Or, si Maïwenn fait apprendre à Jeanne les codes de la cour, elle ne les lui fera jamais respecter, parce qu’au fond, Maïwenn est comme Jeanne du Barry : on l’aime pour sa différence, pour ses audaces !
Mais il faut bien avouer que suivre le délire égocentrique de grandeur de Maïwenn est assez amusant, et propose son lot de scènes rigolotes parce que lunaires, comme cette séquence de repas face à Marie-Antoinette. La fiction plus forte que tout est toujours une idée de cinéma appréciable. Grande idée donc, que de faire d’elle, Maïwenn, le centre de tout – grande idée, à ce titre, que d’interpréter le rôle principal.
Seulement voilà, les grandes idées n’effacent pas la morale, et si l’entreprise de Maïwenn est détestable, c’est parce qu’elle oublie, dans le chemin de son esthétique égocentrique, de dire la vérité sur des questions plus grandes et importantes que sa petite vie de réalisatrice intouchable. Tandis qu’il semble avéré, historiquement, que Zamor dit de la comtesse qu’elle a fait de lui son jouet et qu’elle permettait qu’on l’humilie, Maïwenn n’en montre rien, voire même montre l’inverse. Pire, la voix off finale décrédibilise les paroles et le rapport amer qu’entretiendra Zamor avec la comtesse jusqu’à la fin de sa vie. Pourquoi ? Parce que Maïwenn est non seulement égocentrique – pourquoi pas – mais surtout incapable de se montrer sous un jour mal aimable. Incapacité, donc, de prononcer des paroles racistes alors même qu’elle joue un rôle. Ce qui est la pire des malhonnêtetés.
On pourra donc reconnaître à Maïwenn le souci de la cohérence : au fond, ce Jeanne du Barry est la preuve esthétique que Maïwenn n’est effectivement pas du côté des victimes. Qu’en pense Thierry Frémaux ? Thierry ne pense pas, il a décidé que le wokisme ne rentrerait pas à Cannes.
Jeanne du Barry, de Maïwenn, sortie le 16 mai 2023