Critique – Marcello Mio de Christophe Honoré – Sélection Officielle
Le ciel est bleu, l’eau mouille, Christophe Honoré parle des artistes, des acteurices, filme son entre soi assumé. Et pourtant, à rebours d’une lassitude déjà grandissante face à la floraison de films métas sur le cinéma français, on a cru voir se décoller une vraie image de cinéma. Le pitch est simple : Chiara Mastroianni, étouffée par l’ombre de son père décide de prendre son identité. L’installation d’une hybridation physique entre la fille et Marcello dont elle emprunte les traits, les vêtements, le chapeau, le smoking, les lunettes, l’attitude, le vécu et les souvenirs, intrigue, attire l’œil qui voit se détacher une figure nouvelle, une mise en relief. Désamorçant la redondance dans la mise en abyme de nos actrices et acteurs français, qui rime souvent avec autodérision inoffensive et nombriliste, à fortiori lorsque des visages célèbres jouent, au singulier, leur propre caractéristique. Cette hybridation apparaît dans un premier temps pour exister à l’extérieur de ces images figées, pour leur donner un intérêt, sinon pour elles-mêmes, au moins par contraste.
Marcello Mio travaille hélas contre cette image-là, s’en détourne, n’ose se débarrasser du poids, de la lourdeur cinématographiquement patibulaire de l’idolâtrie nostalgique des icônes. Le film s’ouvre sur la célèbre scène de la fontaine de Trévi, un remake au ringard conscient, qui donne le ton : une version altérée des films de Marcello Mastroianni rythmée d’un esprit de caste fatigué et fatiguant supposément trop sensible et trop important pour être raillé. On pense rendre hommage en re-créant l’existant, on dégaine violons, noirs et blancs, ralentis, grammaire tacite du flashback, autant de passages obligés qui in fine éloignent le spectateur de ce qui aurait pu être le souvenir ambigu, brumeux du personnage Chiara. Elle se retrouve davantage dissimulée par le besoin qu’a le film de représenter un Marcello Mastroianni qui parle à tout le monde que par le déguisement qu’elle porte. Un ballet de scènes évoquent la filmographie du père, de la parade sur le plateau télé en forme de name-dropping à cette déroute avec l’anglais, amant naïf de Chiara dans le scénario, référence évidente aux Nuits Blanches de Luchino Visconti. Cet Anglais reste le seul personnage fictif du film : un amant, militaire, semblant sorti tout droit des fantasmes d’un réalisateur dont la grille de lecture se restreint décidément au cénacle des artistes, et à la connivence qu’il s’évertue à créer avec eux. Le spectateur finit par suivre Chiara, Catherine, un Fabrice obséquieux, et quelques autres, dans une course au ridicule parfois voyeuriste, achevée en apothéose par une scène de beach-volley consternante. Sans le savoir, ils se jouent d’eux-mêmes. Sans complicité avec un imaginaire nouveau, l’éternelle mise en abyme du cinéma dans le cinéma ne peut être une fin en soi, et le film en pâtit continuellement.
Il y a pourtant une cohérence entre ce champ de vision délimité et la volonté de filmer Mastroianni, au sens le plus indéfini que puisse être ce nom. Sonder l’insondable de l’intérieur, pourquoi pas. De la cohérence, il y en a beaucoup moins dans la romantisation du souvenir qu’on fait d’un nom qui, comme celui des Gainsbourg, apparaît comme un objet flottant attendant le chef d’œuvre qu’on en fera. S’y joue en attendant une parade aux rôles savamment distribués, d’un Fabrice Luchini amusant, complice à toute heure du jour et de la nuit, trop heureux d’être l’ami de Marcello, étant de fait le seul à faire exister le protagoniste hybride pendant la majorité du film. Contrairement à Melvil Poupaud, Benjamin Biolay ne s’opposera pas à cet emprunt, feindra de le questionner, largement passif, le tout pour la caméra de quelqu’un qui, comme il le faisait déjà dans Chambre 212, convoque physiquement dans le plan et dans la scène des figures passées, imaginées justement pour leur poser toutes sortes de questions. Au lieu d’une mise en danger sincère, l’épaisseur scénaristique – si tant est qu’il y en ait réellement une – repose essentiellement sur le patrimoine de cette grande famille franco-italienne dont les intentions mièvres consistent moins dans la revendication de ce titre comme privilège conscient que pensé comme se suffisant à lui-même et nous laisse cette impression d’assister aux caprices d’une enfant gâtée. Alors quand Catherine Deneuve cède, enfin, à l’agressivité d’un souvenir, au mensonge un peu trop doux, au déguisement trop bien fait, est-ce le moment où le film pose, par le cinéma, les questions qu’il balbutie depuis le début ? Comment vivre dans l’ombre, d’un père, d’un deuil, d’un nom, d’un fantôme ? Ou est-ce qu’un film avec Deneuve avait besoin de son moment Deneuve ? Qu’après tout, elle était encore bien là, elle ?
Au milieu de tout ça, on a bien du mal à se souvenir de ce que fait vraiment Chiara-Marcello, à la voir tenter d’investir cette figure. Marcello est là et on n’en fait pas grand-chose, on accepte sa mue à demi-mot, on se persuade que c’est passager, et d’ailleurs si ça pouvait lui passer rapidement, on pourrait tous passer à autre chose. L’intéressée, elle, se fait le centre d’un jeu égotiste latent et confirme les intentions inavouées d’Honoré : faire un film sur le métier d’acteur dont les rôles titres sont interprétés par les concernés pour, in fine, participer de leur descendance cinématographique. Tuer un type déjà mort, c’est malin pour être sur la photo des funérailles, non ?
Marcello Mio de Christophe Honoré, actuellement au cinéma