Critique | Partir un Jour d’Amélie Bonnin, 2025 | Film d’ouverture (SO)
C’était la dernière surprise de l’annonce cannoise du grand manitou-sélectionneur Thierry Frémaux : Partir un jour d’Amélie Bonnin ouvrira cette 78e édition du Festival de Cannes. Un premier film donc, une première pour un film d’ouverture, une adaptation en long du court métrage éponyme, avec le même casting (Juliette Armanet et Bastien Bouillon), par la même cinéaste. Et, « at last but not least » comme le dirait Titi dans un anglais approximatif, Partir un Jour est une comédie musicale, dans le style clairement revendiqué d’On Connaît la Chanson (1997) d’Alain Resnais. Une seule question flotte alors sur toutes les lèvres : ouvrir la grande messe annuelle du cinéma avec un petit film humble en apparence n’est-il pas un pari risqué ?
C’est un beau roman, c’est une belle histoire…
Cécile (Juliette Armanet) est une cheffe gastronomique qui s’apprête à ouvrir son restaurant. Après l’infarctus de son père (François Rollin), la voilà de retour dans son village natal du Loir et Cher, dans lequel elle recroise son amour de jeunesse, Raphaël (Bastien Bouillon). Pour énoncer cette exposition assez simple, la cinéaste en passe par les grands moyens : des séquences entières de comédies musicales sur des chansons cultes (Sensualité d’Axel Reid, Alors on danse de Stromae), directement chantées par le casting. Le film trouve alors un intérêt renouvelé dans sa mutation en long métrage : si l’histoire reste la même, les rôles principaux s’inversent (c’est Juliette Armanet qui revient), les métiers des protagonistes diffèrent, et la piscine où Cécile et Raphaël conjuraient leur amour manqué devient ici une patinoire. De la playlist, seul Partir un jour des 2be3 demeure, toutes les autres chansons sont propres au long. À ce titre, ce dernier fonctionne finalement comme une variation musicale d’un thème premier. C’est toujours la même histoire depuis la nuit des temps, mais nous allons changer le décor.
Cependant, le spectateur connaît la chanson depuis maintenant trente ans, il n’est pas dupe, et cette version longue rend amer le constat d’un rabâchage de l’esthétique portée par le couple Jaoui/Bacri dans le cinéma d’auteur populaire français. François Rollin est un ersatz des rôles de grincheux de Bacri et Dominique Blanc pourrait sortir d’Un Air de Famille (1996), avec sa phrase déjà culte « Spritz pour tout le monde ! ». Et ce n’est pas le seul parallèle avec le film de Klapisch : il y a aussi le même bistrot, le même grand chien (mais bien vivant cette fois). Soit tout un imaginaire de cinéma qui s’incarne dans la phrase que prononce un ami de Raphaël : « On est dans une faille temporelle ici, rien n’a bougé ». A croire que, sur les murs de poussière, la cinéaste n’a pas trouvé mieux.
J’ai beau t’aimer tu pars quand même
Mais c’est dans le traitement de ses chansons qu’Amélie Bonnin trouve sa singularité au milieu de ses références. Elle embrasse pleinement le devenir-karaoké de sa comédie musicale, portée par une esthétique grand public à laquelle elle aspire par les tubes qu’elle reprend à son compte. Le générique d’ouverture, volontairement artisanal avec sa police de karaoké caractéristique en Comic Sans MS, donne à voir un film fier de son humilité. En ce sens, il est comme une antithèse de la part démonstrative de l’Amour Ouf : ici, il ne sera pas question de faire grand étalage d’une technicité de cinéma et de mise en scène baroque. Juliette Armanet et Bastien Bouillon sont beaucoup plus convaincants et justes dans leur amour manqué que ne le sont Adèle Exarchopoulos et François Civil, avec une caméra qui sait rendre visible, et subtilement, par un regard ou une réplique, un sentiment amoureux. Par exemple, le visage de Juliette Armanet qui se décompose quand Bastien Bouillon lui présente sa femme Nathalie, cette dernière déclamant dans le même temps Je suis de Celles de Bénabar.
Les parties musicales de Partir un Jour sont comme ces petites voix dans la tête qui transforment tout morceau de réalité en scène de cinéma, ces musiques qui font parties intégrantes de la bande originale de la vie de tout un chacun. Ce qui intéresse ici la cinéaste, ce sont les fausses notes et les imperfections de la voix de ses interprètes, de celles qui donnent toute l’humanité d’une chanson chantée en karaoké. Les nombreuses ré-orchestrations vont dans ce sens, avec le choix de petits orchestres comme accompagnements. C’est la voix fragile et rauque de François Rollin, surtout quand il déclame maladroitement Cécile, ma fille de Brassens. C’est Femme Like U chanté par un Bastien Bouillon exalté (futur tube sur les soirées de la Croisette !) qui permet au couple Armanet-Bouillon de corriger un acte manqué du passé, par un beau baiser glacé sur une patinoire. Et la plus belle manifestation orale de cette petite voix intérieure arrive avec le personnage de Sofiane (Tewfik Jallab) : alors qu’il s’apprête à dire à sa femme qu’il l’aime plus que tout au monde, juste deux ou trois mots d’amour pour te parler de nous, l’ouverture à la guitare de Je l’aime à mourir de Francis Cabrel se fait entendre, la scène peut commencer… juste avant d’être interrompue brutalement par la mère de Cécile, qui entre dans la chambre, et casse le moment de cinéma. Arrêtez la musique.
Avec Partir un jour, le Festival de Cannes 2025 s’ouvre sur une note légère, humble et débordante de vie, le la. Frémaux propose en cela un bon film d’ouverture : plutôt que de miser sur un casting (Jeanne du Barry, Le Deuxième Acte, The Dead Don’t Die), il mise sur un film de fête. Il devient finalement un nouveau participant à la fabrication du film en le positionnant en Hors Compétition, le transformant en « top départ made in France », qui veut plaire au plus grand nombre, au moins le temps d’un soir. Alors certes, ça n’a pas le même attrait qu’Annette (mais que fête-t-on avec Annette, si ce n’est le retour de l’auteur par excellence, torturé au possible ?), mais c’est une playlist qui va accompagner les festivalier·es durant onze jours, durant lesquels iels vont vibrer, être ému·es, énervé·es aussi. « Mais surtout ne vous inquiétez pas, n’allez pas faire des signes de croix, et rappelez-vous qu’un jour vous avez eu vingt ans » disait la chanson.
Partir un Jour d’Amélie Bonnin, en salles le 13 mai 2025