Critique | Presence de Steven Soderbergh, 2025
Dans le récent Here de Robert Zemeckis, l’angle d’un salon contenait tout un monde. Steven Soderbergh prolonge cet encapsulage de la réalité : Presence se déroule entièrement à l’intérieur d’une maison de banlieue où une famille vient d’emménager. Au scénario, David Koepp, fidèle collaborateur de Zemeckis et de Soderbergh. Deux grands noms du cinéma américain ont choisi de restreindre l’espace et l’action aux quatre mêmes murs. Here et Presence sont-ils les symptômes d’un repli sur soi ? Zemeckis et Soderbergh posent une question similaire : qu’appelle-t-on au juste « home » ?
Un poltergeist guide notre perception par le biais de la caméra subjective. C’est une présence qui a élu domicile dans la chambre à coucher du premier étage, celle qu’occupe la cadette de la famille. En apparence, l’intrigue parapsychologique est d’un classicisme absolu. Les membres de la famille font connaissance puis cohabitent avec le fantôme qui est probablement l’âme errante d’une adolescente tout juste décédée. La détresse de ladite présence croît à mesure que celle-ci butine des informations sur cette famille dysfonctionnelle. Avec elle, nous écoutons aux portes, tapis dans le placard de la chambre. Que voit au juste la présence ? Quatre solitudes retranchées dans leur mutisme. En fait, la présence joue le rôle des Pénates auxquels on a cessé de rendre un culte. Elle protège la cadette, endeuillée depuis la mort de sa meilleure amie. Qu’il est loin le temps des esprits malveillants et des vieilles maisons hantées ! Pour peu que nous soyons disposés à voir l’invisible, les présences surnaturelles nous couveront d’un regard bienveillant. Film païen plus que halluciné, Presence convoque les esprits des religions anciennes dans un geste désespéré. Qui protégera nos maisons et nos biens désormais ? Le foyer de Soderbergh est peuplé d’humains impuissants qui ont cessé de croire à l’au-delà, à l’exception de Chloe. La mère, brillamment interprétée par Lucy Liu, tapote compulsivement sur son clavier d’ordinateur pour trouver des réponses au mal-être de ses enfants. Le père (Chris Sullivan) est sur le point d’abandonner le navire. Les enfants (Callina Liang et Eddy Maday) se hurlent dessus. La famille nucléaire américaine se désagrège. Son agonie est un spectacle tragique.
Surveiller pour punir ?
Comme toujours chez Soderbergh, le film est d’une grande rigueur formelle : le metteur en scène s’est aussi chargé de la photographie et du montage. Le dispositif immersif est à la fois radical et très ludique. Dès l’ouverture, nous sommes identifiés au témoin de l’arrivée de la famille par un mouvement de caméra acrobatique. Soderbergh ajoute la contrainte du huis clos et fait le choix du plan-séquence. Les déplacements fluides de la présence participent de l’hyperréalisme d’un film pourtant fantomatique. On croirait presque retrouver les arabesques de Busby Berkeley dans ces tournoiements incessants. Aux visions bornées des quatre monades, le cinéaste oppose celle d’un être omniscient – d’où le grand angle – qui cherche son messager. C’est alors qu’une autre piste narrative est suggérée, un peu moins féconde cependant : l’entité a jeté son dévolu sur Chloe et joue le rôle d’une amie imaginaire. L’entité pourrait bien être féminine, à moins de croire à l’hypothèse d’un twist amplement commenté dans la presse américaine, ce qu’on peut choisir sciemment de ne pas faire. L’affinité de Chloe et du fantôme relève d’une espèce de lien de sororité, d’une communion dans le malheur. La sensibilité paranormale de l’adolescente provient d’une souffrance incommensurable qui l’a rendue extralucide. Au-delà du trip façon film d’épouvante, Soderbergh suggère la nécessité d’une surveillance généralisée pour se prémunir contre les agressions extérieures (commises ici par un jeune homme). Spectre ou caméra de surveillance, dans le fond peu importe, il s’agit surtout de garder l’œil ouvert. Les deux maisons de Zemeckis et de Soderbergh n’ont en fait pas grand rapport. La première est si douillette que toute la vie peut y être racontée sur un mode mineur. La seconde est immense, battue par des vents contraires. Le pire peut arriver – et Soderbergh de rappeler que les murs épais ne protègent pas du mal… L’americana est un leurre. La maison de Here est en carton-pâte. Dans Presence, elle vole en éclats.
Presence de Steven Soderbergh, en salles le 5 février.