Critique | Mon gâteau préféré de Maryam Moghaddam et Behtash Sanaeeha, 2025
Mahin a soixante-dix ans, vit seule à Téhéran dans sa belle maison et son grand jardin à l’abandon. Sa fille et petit-fils n’existent pour elle qu’à travers l’écran du portable et de leurs appels facetime, avec la promesse qu’on « viendra te rendre visite ». Elle leur nie souvent sa solitude, prétexte qu’elle est avec des copines, qu’elles sont là juste à côté, dans le grand vide d’un plan large. « Et toi alors, pourquoi tu ne t’es pas remariée ? Tu te sentiras moins seule, ma chérie. » dit une amie de Mahin lors d’un rendez-vous annuel entre vieilles copines, qui représente la seule scène de groupe du film, avant le retour à la grande solitude mutique.
Mon gâteau préféré du duo iranien Maryam Moghaddam et Behtash Sanaeeha pose des questions de cinéma assez simples : comment exister et s’aimer dans une société iranienne qui, fondamentalement, l’empêche, voire l’interdit ? Que faire quand on ne peut rencontrer personne, et que les rares interactions avec l’autre sont réduites à peau de chagrin ? Qu’est ce qu’être une citoyenne considérée comme « de seconde zone » ? Pensé en même temps que le mouvement iranien « Femme, Vie, Liberté », le film trouve sa plus belle résonance politique dans ce compte rendu méticuleux d’un quotidien empêché, où le décor large pèse sur un personnage confronté au vide et au silence en permanence. Quelques séquences didactiques appuient tout de même lourdement le geste, comme celle du parc, dans lequel Mahin assiste à une descente de la police morale qui embarque des jeunes filles portant mal le voile.
La politique du quotidien à l’œuvre dans le film vire alors à la théorisation d’un quotidien utopique. Mahin rencontre le chauffeur de taxi Faramarz, elle le cherche dans la ville après l’avoir croisé dans une cantine, et arrive à l’inviter chez elle pour la nuit. Et à partir de là, tout est possible : l’amour entre eux se vit comme celui d’adolescents craintifs, cachés de la voisine commère qui se doute de quelque chose, le taxi laissé dans une rue à côté pour ne pas éveiller des soupçons. La maison qui était une cage dorée au silence plombant devient le havre de paix de deux êtres amoureux, timides de réapprendre à aimer le corps d’un autre. On prend le temps d’écouter une chanson, de danser ensemble, de faire un gâteau, de boire une vieille bouteille de vin gardée pour une grande occasion, et les souvenirs de leurs vies passées s’égrènent dans une délicieuse nuit d’été. La plus belle image poétique de cet amour naissant se trouve dans une séquence dans le jardin, au cours de laquelle Faramarz répare le circuit électrique, et allume une par une les ampoules du jardin, rallumant littéralement l’image, la vie de Mahin. Mais la réalité rattrape l’utopie : la prise de viagra de Faramarz entraîne sa mort, et Mahin doit enterrer le cadavre dans le jardin. Si ces pilules apparaissent comme un anti-deus ex machina bien cruel, elles révèlent un possible état de fait : dans cette société, l’amour ne suffit pas.
Mon gâteau préféré de Maryam Moghaddam et Behtash Sanaeeha, en salles le 5 février 2025