Critique | Hard Truths de Mike Leigh | San Sebastian 2024
Révélé à Cannes dans les années 1990 avec Naked (Prix de la Mise en scène 1993) et Secrets et Mensonges (Palme d’Or 1996), Mike Leigh fut, au côté de Ken Loach, la tête de proue d’un nouveau cinéma d’auteur britannique, intéressé par la question sociale. Après un détour récent par deux films d’époques (Mr. Turner et Peterloo), le voici de retour à San Sebastian avec Hard Truths, un nouveau film qui semble marquer un retour à sa terre natale : une banlieue pavillonnaire de Londres, période post Covid. Elle est habitée par Pansy (Marianne Jean-Baptiste, révélée par Leigh avec Secrets et Mensonges), femme au foyer racisée dont la vie de famille va être marquée par une grande dépression.
Pansy va au supermarché, Pansy se plaint au salon de coiffure de sa sœur, Pansy va acheter un sofa, son mari plombier écoute son collègue déblatérer des anecdotes sur les horloges, Pansy va chez le dentiste… Dans ce film choral en apparence, le film montre Pansy dans différentes situations, toujours mal aimable, jamais contente, cynique, et décochant des punchlines au rythme d’une mitraillette. Les cadres sobres, fixes et larges du cinéaste permettent à ses acteurices d’exprimer toute leur richesse de jeu, le rythme du plan étant le plus souvent soutenu par l’énergie de Pansy qui déteint ou non sur les autres personnages. La séquence Pansy va acheter un sofa est la plus comique en ce sens : dans un simple champ contre champ et un rythme de montage au cordeau entre Pansy et la vendeuse, cette dernière finit par perdre patience face au mur de mauvaise foi qu’elle a en face d’elle, jusqu’à la rupture où elle va chercher son manageur. Pansy prend tellement de place qu’on a du mal à comprendre Mike Leigh quand il fait exister des scènes entières pour d’autres personnages tant cela semble provenir d’un autre film, et rend le rythme global atone (par exemple, la séquence où la petite cousine passe une réunion cosmétique sur le nouveau produit d’appel qu’elle a créé pour une marque).
Puis surgissent les fameuses Hard Truths du titre, que Mike Leigh convoque par une citation directe de Caché (2005) de Haneke : dans les plans d’introduction, la caméra cadre le passage d’un travailleur, racisé lui aussi, qui passe en voiture, puis recadre lentement sans bruit sur la maison, comme un appel au spectateur à voir quelque chose. Les personnages n’arrivent plus à communiquer avec Pansy, cette dernière devient un personnage dépressif, quasi muet même, comme découvrant son profond mal-être devant tout le monde. Le silence s’empare de tout, installe un malaise constant, et les décors bourgeois blancs et minimalistes de sa maison trop propre hurlent le sur-place du personnage, faisant de chaque nouveauté une agression de son lieu à soi : ça commence par un bouquet de fleur, un renard dans le jardin, des pigeons dans l’allée, puis cela devient son mari, qu’elle chasse de la chambre conjugale en enlevant ses vêtements du dressing. Une scène de repas de famille fait office de point d’orgue de ce mal qui la ronge : son fils, incapable de lui dire qu’il l’aime, lui donne un fou rire nerveux qui se mute imperceptiblement en larmes de tristesses, en un unique plan séquence.
On ne sait plus trop sur quel pied danser, et sur ce que l’on doit penser du personnage de Pansy : le film veut in fine nous donner de l’empathie, là où l’enchaînement de scénettes comiques de la première partie amenait à la rejeter, en nous mettant du côté des autres personnages qui subissent son mauvais caractère. Les deux tonalités de cette tragi-comédie ont l’air de participer à deux films distincts, sans jamais se fondre véritablement ensemble. C’est assez frustrant, et révèle un geste de cinéma incertain, comme si Mike Leigh lui non plus ne savait que faire du sort qu’il choisit pour son personnage principal, manquant de courage pour être cruel envers elle.
Hard Truths de Mike Leigh, pas de date de sortie française pour le moment.