Conter à la lune

Critique | La mer et ses vagues, Liana & Renaud, 2025

Une nuit, une seule comme toutes les autres, à la recherche d’une lueur. Un faisceau dans l’obscurité, un point rouge sur l’écran. L’on débarque puis il faut traverser la ville, saluer les fantômes avant de repartir. Najwa (Mays Mostafa) et Mansour (Mohamed Ammari) arpentent les rues de Beyrouth, étrangers à la ville, en attente d’un passeur, en quête d’une traversée vers l’autre côté de la mer. Chaque élément a sa place, chaque rencontre sa symbolique, le tout bien figé et le duo dénote. Ailleurs mais toujours ici, le gardien garde son phare, le pharmacien sa pharmacie, et la vendeuse, à la criée, tente de vendre des tickets de loto, le tirage est demain, aux passant·es désincarné·es.

– Les gens sont fous ce soir.

C’est à cause de la lune.

Car celle-ci est pleine pour cette trouble excursion, palliant les ampoules grillées et le vieux phare qui veille sur la mer — le gardien sur ses lumières. Changer une ampoule, ce simple geste, ou son impossibilité, marque le début d’une longue nuit d’opacité à Beyrouth. Liana & Renaud fixent leur décors dans un Liban en crise, au moment de la pénurie de carburant qui empêche alors le fonctionnement du réseau électrique dans tout le pays, provoquant ainsi des black-outs et des déplacements massifs de la population. L’air est aux grésillements et à la solitude des glitchs, celui du parlophone n’ayant plus personne à qui s’adresser ou de l’écran publicitaire n’ayant plus rien à montrer. Au fil de la nuit, les boîtiers prennent feu, l’électricité saute et les cigarettes se consument, le vent tourne et la ville se vide. 

Il y a toujours des failles, des erreurs, des hasards.

Le sentiment de dépeuplement et d’abandon transparaît par la plasticité de l’image (la pellicule, les cadrages) et par une véritable théâtralité lyrique incarnée par chacun·es des comédien·nes et des musicien·nes, rendant le tout presque irréel. Prolongeant les rêves de celleux qui restent, l’œil de la borne, omniprésent, guide les égaré·es. Avec La mer et ses vagues, les personnages chantent à la lune leurs désespoirs et leurs lettres aux êtres aimés, les yeux humides, tentant de soigner les cicatrices à l’aide de mythes. Les reflets se dissipent, le ton est aux présages. Les chants de l’errance se perdent au creux des vagues pour un dernier passage dans la ville (qui fermera les yeux et nous aura oublié·es).

La mer et ses vagues de Liana & Renaud, en salles le 29 janvier 2025.