Critique | Slocum et moi, Jean-François Laguionie, 2025
« Le voyage de mon père, je vais essayer de vous le dessiner. Je dessinerai les choses au fur et à mesure que me reviennent les images, comment faire autrement ? Certaines viendront plus tard, d’autres pas. »
Ainsi débute Slocum et moi, par la bouche d’un jeune artiste qui se plonge dans ses souvenirs d’enfance : le film ne fait pas de mystère, ne cherche pas à se montrer cryptique et pose ainsi dès ses premières secondes sa vocation autobiographique. Ce jeune artiste, ce François qui se cache derrière le je, c’est évidemment l’avatar de Laguionie (Jean-François de son prénom, pas de mystère on vous dit !). Contrairement à ses films précédents, fantastiques ou d’aventure, l’histoire qui va suivre s’ancre dans le réel. En tant que spectateur, on en ignorera la part fictionnelle – et on se fiche un peu d’ailleurs de savoir ce qui relève du fait véridique, du souvenir enjolivé ou de la pure fiction ; Laguionie étant un rêveur, ne compte que le récit qu’il s’est raconté. Cette ouverture affirme par ailleurs la non-exhaustivité de ces souvenirs (qu’une durée de 1h15 rendrait de toute manière impossible), mais les thématiques chères au cinéaste seront, en revanche, présentes dans leur intégralité : appel du grand large et de son bestiaire évidemment, goût de l’aventure sous toutes ses formes, de la traversée en solitaire à la fugue en passant par une simple nuit dans un autre lit que le sien, initiation à l’amour enfantin, et même l’apparition fugace d’un spectre de mort dans une scène qui apparaît presque comme déconnectée du reste du film tant elle est difficile à la rattacher au reste du récit.
Tout y est donc, mais autrement. On avait l’habitude de personnages d’aventuriers rêveurs, voici qu’on se retrouve avec des rêveurs d’aventure qui ne quittent finalement pas beaucoup leur jardin : le rêve suffit, et l’accomplir pleinement serait prendre le risque d’y mettre fin. Ainsi, rêver d’aventure, ce n’est pas tant souhaiter partir que d’imaginer d’autres s’y plonger. Construire un bateau sur lequel d’autres navigueront, lire et relire les journaux de bord de Joshua Slocum, premier marin à avoir effectué le tour du monde à la voile, ou bien passer sa vie à réaliser des films sur ses fantasmes enfantins : c’est suffisant, quoi qu’en dise Jean, l’oncle de notre héros (et deuxième moitié du prénom de Laguionie : ne réussirait-il pas à se contenter pleinement de ces rêves ?).
Ainsi, quand le cinéaste se replonge dans ses souvenirs d’enfance, ce n’est finalement pas la soif de péripéties qui prend la place centrale, mais celle, bien plus triviale, de la relation avec son papa Pierre, faite d’éloignements involontaires (il n’est pas le père biologique de François et projette sur lui son impression de ne pas être assez père à ses yeux) et de rapprochements empathiques (la naissance d’une même passion, la prise de conscience de points communs malgré l’âge et le manque de communication). Si l’on apprécie la propension du cinéma de Laguionie à s’adresser aux enfants comme à des enfants – c’est à dire pas comme à des consommateurs plus cons que les autres comme le fait toute une partie de l’industrie du cinéma familial – on regrette toutefois qu’il peine à faire vibrer ce récit autobiographique auprès des adultes.
Slocum et moi de Jean-François Laguionie, en salles le 29 janvier 2025