Embellisse c’est le verbe

Critique | Apprendre, Claire Simon, 2025

Ça décortique la phrase, on travaille la syntaxe, où est le verbe, quel est le sujet ? À l’école, ce travail de français est commun, on le connaît, et dans Apprendre, à la séquence appropriée, de son infinitif, ici le verbe est « embellir ». De l’école actuelle, à l’évidence, on ne peut pas tenter mieux. Car entre les limites de son fonctionnement intrinsèque, le démantèlement néo-libéral de son budget, l’omniprésence des rapports de classe, l’autorité des hiérarchies et l’illusion du mérite, seul un embellissement cinématographique saura donc y trouver une lumière. Alors quand l’enfant, incertain, se risque « embellisse c’est le verbe », tout prend sens.

Après Récréations, exposition violente du plus jeune âge où sauvagerie des enfants entrecroise tentative complexe du vivre ensemble et apprentissage personnel, Claire Simon retourne à l’école, mais cette fois en se faufilant dans les classes. On y entre en se prenant par la main, on demande un câlin, on s’entraide, on se guide, et ce sera un lieu de bons sentiments, de bonnes intentions, un lieu qui tentera la dure tâche d’occulter l’iniquité du dehors. L’égalité des chances est un bon mot ; qu’en est-il donc des apprentissages que le titre même du film indique ?

Dans ce nouveau et pas moins délicat film de la réalisatrice, nous pouvons observer différentes initiations. Il y a tout d’abord et logiquement les calculs, mathématiques et compas, les règles syntaxiques et autres compléments d’objets directs ; mais il y a aussi et surtout l’apprentissage de la contenance ; c’est à l’école que l’on apprendra à s’excuser auprès des autres, à gérer nos colères et nos tristesses, car c’est aussi à l’école que l’on vivra des traumatismes. Parfois ce sera le rejet, parfois le sentiment d’être inférieur ou incompris, et parfois la frustration de ne pas réussir ou le besoin inassouvi de solitude. Mais l’école est aussi l’apprentissage de l’ordre et apprendre à se taire pour éviter le chaos n’est pas fait que de vertus. Le regard de la cinéaste rend ce petit monde multiple et profond, jamais manichéen. Sa caméra n’est ni propagandiste ni promotionnelle, non, elle n’est que cinéma – cinéma du réel – celui d’une institution publique gorgée d’individus encore innocents du monde qui les entoure.

Et c’est d’ailleurs par elle et son objectif que nous pourrons assister à une tentative de triche en pleine évaluation écrite. Car leur vue ne s’acoquine pas avec les maîtres et les maîtresses. Au contraire, elle se place à taille d’enfant, tentant d’épouser, en tant qu’adulte, un regard perdu, un regard passé, un regard qui sans apprentissages préalables, scolaires ou non, n’aurait su s’exprimer. Car cachée derrière la machine, Simon capte aussi un « débat » que l’école propose à ses élèves ; et c’est de cette séquence passionnante sur le thème de la religion que plusieurs voix jaillissent, nous piquant d’un important rappel : ici n’est finalement montré qu’une classe une seule. Et ce sera à l’apparition de quelques musiciens extérieurs, de d’autres enfants d’un autre lieu, d’une jeune pianiste proposant de jouer du Chopin, que la confrontation de deux mondes se disposera devant nos yeux. À un pianiste, un jeune d’Ivry demande d’ailleurs « T’es de quelle religion ? » comme d’un évident marqueur de classe sociale, un sujet qui inspire un néo-prolétariat. Et de cette phrase, inspire est le verbe ; or c’est Apprendre le titre ; on sort du film comme de l’école : un sentiment de vie et l’impression de mieux comprendre – peut-être n’est-ce là qu’embellissement de nos pupilles.

Apprendre de Claire Simon, en salles le 29 janvier 2025.