Critique | La Guitarra Flamenca de Yerai Cortés de Anton Alvares | San Sebastian 2024
Tout part d’une anecdote. Anton Alvarez, aka C.Tangana, assis seul à un bar, raconte en un long plan séquence sa première rencontre avec la famille Cortés, lors d’une fête qui se déroule chez ces derniers. Une star du flamenco devrait apparaître d’une minute à l’autre, et lorsqu’elle monte enfin sur scène, son émotion monte au même moment que des fusées Space X traversent le ciel (les mêmes qui habilleront l’affiche du film). C’est l’histoire d’une rencontre, d’« une nuit de conte » dostoïevskienne, qui aboutit en un projet de film : documenter la création d’un album de flamenco, la bien nommée Guitarra Flamenca de Yerai Cortés.
Énoncé d’emblé par Yerai Cortes, le flamenco est un art musical fondé sur l’expression, celle d’une chanson à textes. Le projet de l’album pour le guitariste est de se raconter, ses doutes, son amour, son identité, mais surtout d’écrire le tourment de sa famille, son père, sa mère, le deuil de sa sœur. Le processus de mise en scène de Tangana lui vient alors en aide pour filmer et rechercher cette histoire, ces mots enfouis dans ses souvenirs : c’est pour la caméra, dans un dialogue littéral avec le metteur en scène, que la mère de Yerai parle et se révèle. Les mots circulent, les souvenirs se répondent : le divorce raconté par les parents, deux histoires opposées qui, en sous-texte, montrent qu’ils sont devenus deux inconnus l’un pour l’autre. Le film fait le choix judicieux de ne pas se plonger dans une nostalgie de l’archive, le passé passe sous le prisme d’une parole prononcée à l’instant T, fondue comme matière première dans une chanson de flamenco.
À ce premier geste amené par le guitariste Yerai Cortés, s’ajoute celui de C.Tangana, à travers la captation des morceaux de flamenco. Grands moments de bravoure du film, C.Tangana abandonne les longues focales et la fixité des plans. L’optique s’ouvre pour mieux embrasser le collectif, la caméra sur steadycam iconise chaque collaborateur-ice des morceaux, avec au milieu la guitare de Yerai qui mène la danse. Plus que jamais, la chanson devient vivante, s’incarnant dans le corps d’un danseur ou d’une gitane, et s’inscrivant dans les lieux de captation, que ce soit la séquence dans un parc public où les passants s’arrêtent pour écouter, ou celle dans le champ avec un grand groupe choeur gypsys. La musique transcende cinématographiquement l’histoire que l’on nous raconte : la lettre pour la sœur défunte de Yerai est magnifiée par la chanteuse de flamenco, créant une catharsis dans un second temps pour sa mère.
S’il on sait que le cinéma est intimement lié à la musique (Scorsese le répète tout le temps, comme un disque rayé : « La musique et le cinéma sont inséparables. Ils ont été et seront toujours ensemble. »), peu sont les films documentaires qui arrivent à voir et entendre aussi justement le processus de création musicale. La Guitarra Flamenca de Yerai Cortés mange de ce pain là, et touche par la sincérité de l’artiste musical qui s’empare du cinéma comme par nécessité, qui se serait dit qu’il n’y avait que le septième art pour raconter cette histoire commencée sous les auspices de Space X.
La Guitarra Flamenca de Yerai Cortés de Anton Alvares, pas de date de sortie française pour le moment.