La maison s’endort, les loups se réveillent

Critique | Comme le feu de Philippe Lesage, 2024

Jeff, un adolescent, est invité par la famille de son meilleur ami Max dans une maison isolée au creux des bois, habitée par un célèbre réalisateur, Blake Cadieux. Sur ce postulat, le nouveau film de Philippe Lesage, Comme le Feu, s’appréhende comme un long et lent voyage. La séquence d’ouverture est pensée littéralement comme un sas de décompression : un trajet en voiture mutique, essentiellement cadré dans de longs plans larges (à l’exception d’un gros plan sur des mains, celui de l’affiche du film), avec une musique répétant la même boucle mélodique. Le cinéaste veut plonger son spectateur dans un film fleuve de presque trois heures, avec un scope digne des grands espaces canadiens filmés, et une promesse d’un récit choral touffu.

A travers le point de vue de son personnage principal et témoin, c’est tout une complexité du monde adulte qui nous est révélée. Celle d’une amitié de cinéma qui se révèle être une rivalité enfouie entre le personnage du scénariste Albert (Paul Ahmarani) et du réalisateur Blake (Arieh Worthalter), ou encore l’amour toxique et non réciproque que porte Jeff à Aliocha, la sœur de son meilleur ami. La grande force de mise en scène de Philippe Lesage est de filmer ces dynamiques de pouvoir dans de longues séquences chorégraphiées, généralement en un unique plan large. Les nombreux blocs-scènes de repas en sont la parfaite illustration, et révèlent bien les mécaniques de cinéma mise à l’œuvre : à l’aide de son mixage sonore et de légers mouvements de caméra, il déplace notre regard dans le cadre, révélant quand il le souhaite un détail, le grain de sable qui va lancer la tension dramatique pour le restant de la séquence.

C’est dans cette lente et longue mise en scène du chaos que Comme le Feu se révèle passionnant. Aux scènes de dialogues, aux interminables logorrhées tendues s’opposent les scènes mutiques en pleine forêt, où le regard est primordial. Les séquences de pêche, de chasse, de randonnées ou de sorties nocturnes dévoilent des états primaux chez nos personnages, révélant qui sont les dominants (Blake, sa pêche miraculeuse et sa cabane isolée du reste de la demeure) et dominés (Jeff qui se perd dans la forêt et tente tant bien que mal de survivre avant de se rendre compte qu’il s’était perdu à quelques pas du domaine). La circulation de ce chaos s’exprime à travers la scène centrale du film, celle d’une danse collective qui s’empare peu à peu de tous les personnages. Millie allume une platine vinyle pour lancer une musique rock endiablée sur laquelle elle danse furieusement. En un long panoramique latéral, c’est toute la troupe qui passe de l’inertie à un mouvement frénétique, en allant même jusqu’à sortir du salon pour se retrouver à l’extérieur, dans une chenille diabolique.

Philippe Lesage nous invite à une danse, celle d’une jeunesse confrontée à un monde adulte peuplé de loups. La question finalement est de savoir si Jeff, Aliocha et Max deviendront des prédateurs comme leurs parents ou des brebis égarées, broyées par la machine infernale.

Comme le Feu de Philippe Lessage, le 28 juillet 2024 au cinéma