L’Enlèvement

Critique | Festival de Cannes 2023 | Sélection Officielle (Compétition)

Si le plaisir et l’enthousiasme prévalaient à la sortie de la projection, force est de constater que, quelques temps plus tard, toutes ces sensations s’avèrent plus éphémères que certaines. Les retours à la sortie du film ont été mitigés, gris, et j’en viens à reconsidérer la joie avec laquelle je découvrais cette dernière séquence, seul point véritablement mémorable du film : le fils juif, 4, 5 ou 6 ans à peine, enlevé de force à sa mère sur le motif d’un baptême perpétré par la bonne, chrétienne, revient au domicile familial 20 ans après. Les retrouvailles tant attendues, d’abord espérées puis vite fantasmées, ne sont bien sûr pas celles escomptées : le fils, sur le lit de mort de sa mère, tente de la baptiser avec de l’eau bénite. Les soupçons du conditionnement retourné sont confirmés, provoquent autant d’effroi que de fascination. Jouissance de la mise en situation de l’inéluctable.

Alors pourquoi se laisser faire par la grisaille des autres retours ? Peut-être parce que le reste a disparu. Comment dire la grandeur sans les exemples qui la fondent ? A part cette dernière séquence, Bellochio met en scène Bellochio. Tout y est : les envolées musicales, le romanesque, les thématiques religieuses et le rapport intime à la religion, l’histoire italienne, la famille… pas tant que cela lasse ni que cela ennuie, plutôt que les éventuels réagencements thématiques et esthétiques qui font la force d’un auteur sont ici bien timides. Bellochio rendu banal par Bellochio. C’est-à-dire qu’il joue à un niveau de lyrisme tel qu’être ne serait-ce qu’un peu en-dessous réjouit avec suspicion, et être un peu au-dessus confine au grotesque et fait souffler. Dans ce registre, forcément, la surenchère n’est jamais loin (par exemple avec Jésus qui prend vie). Et après avoir travaillé le romanesque avec tant de flamboyance, impossible, dès lors, de dire la grandeur d’un film qui ne transcende plus comme avaient transcendé les précédents (Les poings dans les poches, Le Sourire de ma mère, Buongiorno Notte). L’Enlèvement est un film aremarquable. Pas assez de souvenirs, donc, pour en faire un éloge à la hauteur des souvenirs de mon plaisir. Mieux vaut donc se taire et rejoindre l’apathie générale pour ce nouveau cru italien, car c’est bien de cela dont il est question 3 mois après avoir vu le film. 

L’Enlèvement de Marco Bellochio, sortie le 1er novembre 2023