Club Zero

Critique | Festival de Cannes 2023 | Sélection Officielle (Compétition)

Une famille mange vegan, se questionne sur l’importance d’être éco-responsable et discute chaleureusement des exploits de leur mode de vie minimaliste… dans leur immense maison avec piscine, assis devant un arrosoir automatique qui déverse des litres d’eau en continu sur leur pelouse verdoyante. Cette famille est, comme les autres familles que nous découvrons, ultra-riche et ultra-privilégiée. Leurs enfants sont tous inscrits dans une école ultra-privée, seule manière de recevoir l’ultra-meilleure éducation : au prix ultra-fort.

Un des pères a justement trouvé sur internet une auto-proclamée spécialiste de la nutrition, de l’Alimentation Consciente, et s’empresse, avec les autres parents membres du Conseil des Parents, de la faire embaucher. Leurs précieux chérubins doivent apprendre à s’alimenter comme il faut ! Ceux-ci vont alors commencer un cycle de cours – en classe de 6 élèves maximum, bien sûr – centrés sur la conscientisation de l’alimentation. En gros : on inspire bien fort par le nez, on expire par la bouche, on ralentit, on coupe en tout petits morceaux, on réfléchit, on regarde sa nourriture, on la ressent… avant, d’enfin, manger. Mais 2 ou 3 morceaux, pas plus.

Cette gourou (Mia Wasikowska) des temps modernes réussit à s’immiscer peu à peu dans l’esprit de ce groupe d’élèves et la folie collective prend une autre tournure lorsque le régime alimentaire devient de plus en plus restrictif, jusqu’à finalement consister en un jeûne constant et inarrêtable. Chez eux, on se nourrit de Lumière ! C’est un secret bien gardé que les plus grands de ce monde se gardent bien de nous donner… Certains récalcitrants s’obstinent à continuer à manger le midi à la cantine et subissent une pression de groupe constante, qui, lorsqu’elle devient majoritaire auprès de leurs amis, les fait finalement adhérer de bon cœur. Différentes faiblesses mentales ou sociales constituent un terreau fertile pour tout néo-prophète qui souhaiterait installer sa position : la gourou est finalement l’amie, la mère, la confidente ou l’amoureuse qu’on n’a jamais eue. La vie personnelle devient le Groupe du lever au coucher, tout l’entourage en est, les autres sont évidemment dans l’erreur et ne vivront pas éternellement contrairement à nous, les Eveillés.

Les mères de certaines ou les professeurs d’autres voient comme une bénédiction cette dame venue rendre nos filles belles et minces, comme doivent l’être toutes bonnes nées. Aucun obstacle, si ce n’est cette seule mère de classe populaire. Mais que pèse-t-elle face à la machine ? On y retrouve un autre classique de toute secte qui se respecte : des chants et un logo propres au groupe. Le terreau est une nouvelle fois très fertile, les étudiants ont avant ça dû apprendre le chant de l’école et arborer des uniformes gommant toute identité personnelle. Quelle différence, un chant et un uniforme de plus ou de moins ? Presque aucun de ces jeunes n’a d’esprit critique, gommé, camouflé, et rejeté dès leur plus jeune âge. L’effet placebo rend même les bénéfices de l’arrêt de l’alimentation encore plus exacerbés : on danse mieux, on apprend mieux… on saute mieux sur le trampoline ! Quand on se laisse tenter par un en-cas, plus besoin de contrôle extérieur, la culpabilité instaurée au fond de son cerveau est telle que l’auto-punition est la seule justice dont on ait besoin pour garder ses disciples proches de soi.

Ne plus manger, c’est reprendre un contrôle total sur sa vie d’adolescent privilégié en mal de revendication : sur ses parents qui veulent qu’on se nourrisse, sur la société qui veut que l’on mange et que l’on engraisse les industriels, que l’on pollue nos rivières et plaines. Le film orchestre un détournement des messages contemporains à faire pâlir de jalousie le meilleur greenwashing d’un GAFAM ! La scène du vomi est la plus exceptionnelle, l’apothéose de ce film. Le vomi montre l’emprise et le retour de la perte de contrôle de son Soi. Le vomi est le fluide par lequel transparaît tout l’état mental de cette jeune fille. Le vomi est versé devant nous, spectateurs, comme un rappel terrifiant que tout le monde est responsable. A l’ère où les nouvelles religions ne concernent plus tant de nouveaux Jésus ou des versions pimpées du judaïsme, mais plutôt des maîtres de la spiritualité et des jus de céleri guérisseurs, ce film est un cadeau de vulgarisation pour ceux qui se demandent comment ces gens en arrivent là. Après le visionnage, tant on s’est au départ laissés entraîner par les belles paroles de la maîtresse, on se pose alors la question : et si c’était moi ? Il n’y a qu’un pas entre la rationalité et la folie auto-destructrice sous couvert de reprise de contrôle sur soi. Et ce n’est pas Steve Jobs qui dira le contraire.

Club Zero de Jessica Hausner, sortie le 27 septembre 2023