Mambar Pierrette

Critique | Festival de Cannes 2023 | Quinzaine des cinéastes

Mambar Pierrette n’est pas seulement le nom d’un magnifique long-métrage réalisé par Rosine Mbakam, une jeune documentariste camerounaise, c’est aussi – surtout – le nom de la protagoniste principale de ce film. Pendant une heure et demi, il n’est question de rien d’autre que Mambar : elle vit seule, travaille seule, galère toute seule. Où est le père ? Absent évidemment. Mais son absence pèse. Il faut nourrir les enfants, céder à leurs caprices, ne pas trop se reposer sur l’aide de la mère ni celle de la tontine, faire tourner la boutique, demander des faveurs à droite et négocier les prix à gauche… Au fil des jours, une vie de débrouille se dessine, avec toujours l’aide de Dieu qu’on incante entre deux plaintes. Le prix de l’autonomie semble être la dépendance. Bien sûr, Mambar dépend de ses clients, mais plus insidieux, de son outil de travail. On peut argumenter avec la voisine venue acheter les uniformes de ses enfants pour la rentrée, mais pas avec la machine à coudre. Tous les matins, la tension est à son comble : va démarrer ? va pas démarrer ? si démarre, soulagement ; si démarre pas, il faut aller chez le réparateur de machine à coudre et lui demander une avance. À Douala, connaître les entrailles d’une Singer se révèle être un capital inestimable.

Pourquoi c’est génial ? Peut-être parce que Mambar ne représente personne, ni la misère des petites villes sub-sahariennes, ni la condition féminine au Cameroun. Mambar, c’est d’abord une énergie, une force vitale, donc un objet – et pas un sujet – de cinéma. La caméra la présente elle, son atelier, puis son savoir-faire et donc ses mains, puis encore le fruit de son travail donc l’échange de son savoir-faire contre la monnaie, toujours avec ses mains. Mambar habite (1) Douala, sa maison et son échoppe : sujet documentaire par essence. Elle habite aussi (2) l’écran de cinéma : sujet fictionnel par le jeu du scénario que met petit à petit en place Rosine Mbakam à travers, par exemple, la sous-intrigue du vol de l’argent, mais aussi peut-être l’intervention un peu rêveuse du clown du village. Le cinéma, semble nous dire Rosine avec douceur, il est là, à Douala : c’est Mambar Pierrette. Elle l’a filmé(e).

Mambar Pierrette, de Rosine Mfetgo Mbakam, sortie le 31 janvier 2024