Critique | L’Évangile de la Révolution de François-Xavier Drouet | Itinérances 2025
Le lieu – une salle dans la médiathèque d’Alès – fait office de mise en abîme du programme à venir : celui de l’académisme. L’Évangile de la Révolution s’articule autour de cinq parties (Salvador, Brésil, Nicaragua, Mexique et Retour au Brésil), elles-mêmes éclairées par des citations des Évangiles sur fond rouge. Le didactisme est affirmé et prononcé : il sera question de la théologie de la libération, la typographie noire des saintes écritures, le rouge du communisme.
Je est en trop
D’abord, c’est une chanson qui ouvre le film et pose les intentions de l’auteur. En substance : du pain pour les pauvres, de la merde pour les riches. Puis un panoramique sur les montagnes mexicaines et la voix-off du réalisateur-narrateur qui souhaite revisiter l’histoire politique d’un continent qui le fascine. Ainsi, il a abandonné la foi chrétienne à l’âge adulte, devenant agnostique. L’Église, en tant qu’institution, a soutenu les dictatures militaires, légitimé le génocide indien, participé à la colonisation. Elle était et reste du côté des puissants. Ce que la théorie de la libération révèle, et ce que le film travaille, c’est l’histoire d’autres figures religieuses (prêtres, bonnes sœurs, parfois évêques…) qui ont participé à la lutte armée pour la libération des peuples opprimés. À ce titre, le réalisateur donne la parole à celles et ceux qui y ont participé, à commencer par un prêtre belge au Salvador. Ces figures chrétiennes positionnent Jésus là où il était réellement, du côté des pauvres. Certains voient alors le Christ comme le premier marxiste, opinion qui se répand et s’approfondit en littérature comme au cinéma. Paul Verhoeven développe cette analyse dans son ouvrage Jésus de Nazareth (2015) tandis que Pasolini, tout aussi fasciné par le potentiel révolutionnaire du personnage, le met en scène dans L’Évangile selon saint Matthieu (1962).
L’intrusion de la première personne dans le film demeure paradoxale tant elle atténue la puissance de l’Histoire racontée. C’est un carnet de voyage, certes, mais avec un « je » superfétatoire, manquant paradoxalement de point de vue. Le regard anthropologique nous enseigne de noter l’observable, et d’observer le notable. Ici, le regard est anecdotique, il ne donne pas l’impression de ce qu’il souhaite engendrer : cette certaine « mélancolie de gauche » (Enzo Traverso). Toutes ces révolutions ont en commun de contenir les germes de l’espoir et d’aboutir sur une promesse avortée… ou déplacée ? À la fin du film, pour justifier la lutte et son essence, le christianisme et le marxisme sont mis sur le même plan, dans un même mouvement. La défaite existe dans tous les cas, il s’agit de persister : no pasarán.
Red is dead
Reste un film qui, malgré son académisme, donne voix aux visages de la justice sociale. Ces mêmes voix que le pape Jean-Paul II tente de réduire au silence. Lors de sa visite à Managua en 1983, tandis qu’il fait un discours, il demande à la foule révolutionnaire de se taire : « ¡ Silencio ! ». Figure ambivalente puisqu’il se situe clairement du côté oppressif (c’est un pape, de surcroît conservateur), mais qui doit être prise dans son contexte politique et personnel. Il est polonais, et de ce fait, anticommuniste. Il voit dans les pays d’Amérique latine qui s’insurgent le péril rouge, voire des relents staliniens. Le silence qu’il exige s’inscrit donc dans un double mouvement : la peur de l’idéologie communiste de l’oppresseur (l’URSS par rapport à la Pologne) et la volonté de préserver sa puissance institutionnelle et cléricale. Cette scène marquante du film, François-Xavier Drouet l’emprunte au documentaire de l’Australien David Bradbury No Pasaran (1984), portant sur la révolution sandiniste au Nicaragua. Si le pape exige le silence, c’est que la foule gronde.
Les voix des intervenant·es accompagnées d’archives dessinent les multiples récits, et apparaissent comme des illuminations. Point une forme de légèreté et d’ironie habile à travers la figure de Leonardo Boff, théologien brésilien auteur de l’ouvrage Église, Charisme et Pouvoir. Dans une scène sidérante, il raconte comment il a désobéi à ses supérieurs franciscains au point de quitter le sacerdoce après l’avoir interdit d’exercer sa fonction de prêtre. Légèreté que l’on retrouve dans l’humour mordant anti-étasunien formulé par la voix-off du réalisateur : « Un jésuite a dit un jour : pauvre Mexique, si loin de Dieu, et si proche des États-Unis… » La colonisation, ce fléau. Le documentaire s’accomplit finalement quand il laisse la possibilité au « je » d’intervenir pour des traits d’esprit, dans le flux des voix qui composent ces histoires liées. Les allers-retours entre archives des années 1980 et captations au présent dans le même décor révèlent autant une continuité désenchantée (le travail de la sœur avec les migrants, la situation politique actuelle du Nicaragua) qu’un espoir illuminé par des individus qui privilégient le développement du collectif (et donc le partage). Quitte à être subversif, autant l’être pour la révolution et contre le silence.
L’évangile de la révolution de François-Xavier Drouet, prochainement au cinéma