Les Sept Images Capitales

Critique  | Sanatorium Under the Sign of the Hour Glass des Frères Quay | Étrange Festival 2024

En ouvrant cette 30ème édition de l’Étrange Festival, son fondateur et délégué général Frédéric Temps a présenté le film d’ouverture à son public déchaîné en ces termes : « Vous n’allez pas assister à la projection d’un film ce soir… C’est une véritable œuvre d’art, un tableau vivant que vous allez voir. » Il y avait en effet de quoi se réjouir, puisque ce film d’ouverture, Sanatorium Under the Sign of the Hour Glass, est une proposition qui semble aux premiers abords très radicale pour un film d’ouverture de festival : de l’animation stop motion, et de surcroît un nouveau long métrage des frères Quay, cinéastes britanniques au style plus proche du film d’installation muséal que du cinéma narratif classique. Le ton est d’autant plus donné avec la petite présentation que les frères ont envoyée au festival pour excuser leur absence, racontant leur long travail sur ce métrage : « Le tournage aura consisté en 10 jours de prises de vues réelles, et 19 ans pour les prises de vues en animation ». Pas un film donc, mais une œuvre d’art.

Adapté de nouvelles de Bruno Schulz (auteur polonais que les frères Quay avaient déjà adapté dans La Rue des Crocodiles en 1986), le Sanatorium Under the Sign of the Hour Glass raconte l’histoire d’un charlatan qui se voit offrir une sorte de kinétoscope. Lui, sa servante et nous spectateurs découvrons en regardant à travers l’œilleton de l’objet « sept images fondamentales », qui racontent l’histoire d’un homme prenant le train vers un sanatorium, pour y retrouver son père décédé. Les Frères Quay trouvent ici leur œuvre somme, tant  le métrage déborde de leurs obsessions esthétiques. Le premier passage d’un récit à un autre se fait par une séquence assez révélatrice du propos du film : la première image fondamentale du kinétoscope nous apparaît au départ abstraite et floue, avant de peu à peu se transformer en image nette. Si le récit cadre du charlatan est en live action et en noir et blanc, le récit du sanatorium est en stop-motion avec des marionnettes, dans un nuancier de couleurs sombres, le tout accompagné d’une voix off caverneuse de conte.

Dans cette réalité distordue, filtrée ad nauseam par de nombreux effets pratiques (distorsion d’images, filtres) et numériques (pas toujours très réussis, certains jurant avec les maquettes et autres marionnettes), les cinéastes filment un cauchemar éveillé, où les séquences et motifs symboliques d’oppression se répètent. Si le sens nous échappe souvent (la faute à une voix off omniprésente et très exigeante qui détaille des thèses philosophiques) les images restent remarquables, surtout celle du personnage principal du sanatorium, perdu dans un espace atemporel kafkaïen, ne sachant pas où se trouve son père, figure marionnettiste qui le hante. Le choc esthétique serait à rapprocher de celui de L’Ange (1982) de Patrick Bokanowski, dans ces jeux de répétitions et d’images surréalistes.

En programmant ce film radical en film d’ouverture, pour célébrer trente années d’existence, l’Etrange Festival continue de défricher de nouvelles terres de cinéma, dans un geste de pure cinéphilie qui sonde et développe toujours plus nos imaginaires.


Sanatorium Under the Sign of the Hour Glass des Frères Quay, prochainement en salles