Critique | Le Deuxième Acte de Quentin Dupieux | Film d’Ouverture
Avant même de prendre nos places, il nous paraissait évident qu’un Dupieux ça ne passerait pas, mais par égards pour notre authenticité rédactionnelle qui ne peut ignorer la conviction trop répandue que Dupieux a quelque chose à dire au point d’être catapulté en ouverture au Festival de Cannes, nous sommes allés voir Le Deuxième acte et, comme vous, on a trouvé ça navrant. Le dernier long-métrage de Quentin Dupieux recycle ses rengaines habituelles et fait un pied de nez à ceux qui le regardent : « C’est pour ça que c’est cool le cinéma, ça sert à rien ! ». A coup de bouffonneries artificielles, ses têtes d’affiche (Seydoux, Lindon, Garrel et Quenard) s’adonnent à une méchante autodérision, sitôt désamorcée par le niveau franchement ringard de leurs plaisanteries. La réitération de son schème principiel, soit la prétendue mise en scène d’acteurs se sachant filmés, lui offrait pourtant un terrain fécond mais l’absurde de son comique de situation coutumier prétend cette fois-ci à une profondeur de scénario réellement navrante. Le Deuxième acte sert de défouloir désordonné à un homme blasé refoulant l’exécution même de sa matière et va jusqu’à rendre désuètes les interventions de Juliette Binoche, de Meryl Streep et bientôt de Judith Godrèche en ce début de festival. Comment faire plus vain que vain ? Plus sale que sale ? Nous avons décidé de ne pas singer le jeu du film et de nous essayer à mettre en forme l’absolu néant qu’est le Deuxième acte.
Consciemment, Dupieux confond le spectateur dans une épaisseur scénaristique réalisée au moyen d’un désamorçage interminable entre l’acteur se parodiant lui-même et l’interprétation qu’il donne de son supposé rôle. Pour Léa Seydoux, c’est une Florence gâtée se plaignant de la médiocrité de son travail – on ne lui reprochera pas – mais persuadée de l’utilité quasi-religieuse de son métier. Un Guillaume vantard et impulsif prit des mêmes tics que Vincent donnant la réplique à un Louis Garrel jouant…Louis Garrel grimé en David et enfin le nouveau de la bande, Willy, interprété par un Raphaël Quenard homophobe dont le personnage est en vérité…gay. Décevante, la critique qu’il semble adresser à ses pairs par l’intermédiaire de ses faux-acteurs est malhonnête voir nulle puisque ni démentie, ni discutée ou disculpée d’un trait d’esprit critique : le film pourrait répondre à une commande de Thierry Frémaux, qui répète à l’envi sa volonté de refaire des films le seul élément qui puisse véritablement prétendre au devant de la scène Cannoise.
Car Dupieux, en pastichant la mise à nu de ses acteurs stars leur donne en fait un totem d’immunité, leur fait gagner la course à l’espace médiatique en détricotant l’impact potentiel de ce qu’on pourra dire d’eux, en se basant sur une atmosphère contemporaine explicite et identifiable : on n’est pas seulement dans “l’air du temps” mais bien au printemps 2024 – une telle cadence de production, ça aide. Sauf que justement, en mai 2024 on ne prend pas grand risque en taquinant l’ascendance généalogique de Léa Seydoux, Bruno Dumont (et d’autres) est passé par là, a déjà fait ce travail. Vincent Lindon ? Ses rôles éthiquement vertueux multi-récompensés font autorité sur la blague. Le cas Quenard est en ce sens paroxystique. Sous prétexte de ne pas prendre position, Dupieux épuise tous les gags à caractères polémiques jusqu’à demander à son acteur d’embrasser Seydoux contre son gré : il l’absout avant même un hypothétique cancel. Paradoxalement, en martelant les travers de son époque au moyen de scènes grossières et finalement embarrassantes, son film donne l’effet d’un fourre-tout apolitique bébête légitimant ces mêmes travers.
Et si ce manque de prise de risques était un des dénominateurs communs des griefs que nous adressons, chez Tsounami, à Quentin Dupieux ? Un symptôme du désintérêt que nos pages lui consacraient jusqu’à maintenant ? Quoi qu’en dise l’intéressé, un film, (a fortiori projeté en ouverture du Festival de Cannes en 2024) ne peut pas être apolitique. Et qu’importe si, comme dans la grande majorité de ses récents films, Dupieux botte en touche, s’empressant de recouvrir tout propos de couches d’absurde, d’injonctions à ne pas essayer de comprendre, et donc à ne pas critiquer. Le circuit médiatique habituel se charge bien des éloges et des exégèses : si, si, c’est profond, c’est intelligent, c’est une réflexion sur l’acteur, sur la vie, sur l’art. Mais voilà : comment considérer audible ce que Dupieux peut avoir à nous raconter s’il ne peut, dans le même temps, être tenu responsable de sa vacuité ?
Le Deuxième Acte de Quentin Dupieux, actuellement au cinéma