Critique | Le Jeu de la reine, Karim Aïnouz, 2024
Une Reine et un Roi. Catherine Parr (Alicia Vikander), la sixième épouse du Roi Henri VIII (Jude Law). Ce dernier pourrait bien être renommé Barbe Bleue : Divorcée, Décapitée, Décédée, Divorcée, Décapitée, Survivante récite en chœur encore aujourd’hui les élèves anglais pour se souvenir du sort des épouses d’Henri VIII. Il était une fois une Reine aimée par toute sa famille et sa cour excepté son époux le Roi. Une reine dont la vie ne tenait qu’à un fil à cause de ses prises de positions religieuses.
Il était deux fois…
Firebrand de Karim Aïnouz. Pour son premier film tourné en anglais, le réalisateur brésilien dépoussière la grande Histoire britannique en adoptant le point de vue d’un personnage de discorde, une torche enflammée si l’on devait traduire littéralement le titre. Le film s’ouvre sur un carton d’avertissement : si l’Histoire est écrite par le Roi, ce film contera la version de celle que l’on surnomme «la rescapée». Pour l’accompagner dans sa survie, la mise en scène travaille contre le classicisme du film historique et des lourdes reconstitutions qu’il suppose. Si l’esthétique de l’époque attendue est celle de la Renaissance et de l’Humanisme, la lumière flamboyante tout en clairs-obscurs rappelle plutôt les contrastes saisissants d’un Caravage. De toutes les couleurs, c’est le rouge qui domine : moins pour rappeler la symbolique royale rattachée à la Maison Tudor que pour l’aspect charnel et organique du sang versé.
Il était trois fois…
Deux monstres de guerre enfermés dans un film d’horreur. Une séquence musicale donne la clef de cette certaine idée de mise en scène guerrière : le roi seul entame un chant, qui est repris au fur et à mesure par l’ensemble de sa cour. Dans le même temps, cet instant de liesse permet à la Reine de comploter contre son époux. La puissance d’un battement d’aile amenant la tempête. Un petit fragment enflammé mettant le feu aux poudres. Il était deux monstres donc : d’un côté, le Roi Henri VIII qui n’est plus cette figure réformatrice de la Renaissance britannique iconisé par Hans Holbein. Le voici obèse, profondément conservateur jusque dans sa lutte interne et biologique, pourrissant sur place de ses blessures. De l’autre, la Reine Catherine Parr ne doit son existence que par son statut de femme engrossée, qui fait d’elle la génitrice d’un potentiel héritier. La grande transgression historique promise par Karim Aïnouz se tient finalement dans sa manière de filmer le combat entre deux titans, qui luttent à arme inégale pour leur propre survie : un roi contre sa plaie, une reine contre un système symbolisé dans la figure de son mari, son roi.
Il était une fois, il était deux fois, il était trois fois…
Il était que cette fois… ça ne se passera pas comme ça !