Critique | Jane Austen a gâché ma vie, Laura Piani, 2025
Lorsque Agathe, écrivaine et libraire à la Shakespear and Company, déclare que les applis de rencontre ne sont pas faites pour elle, son meilleur ami lui rétorque qu’« il faut vivre avec son époque ». La scène suivante, c’est au tour de sa professeure d’écriture, au cas où l’on aurait manqué le décalage social que subit le personnage. Poussiéreuse comme les livres dont elle s’entoure, ni épousée ni époussetée, Agathe s’emmure dans la fiction qu’elle se crée et qu’elle consomme par instant d’errances fantasmatiques interrompues par le réel ; meilleur ami, sœur et neveu pour seuls contacts physiques et tangibles avec la réalité.
Au lieu de se confronter à la misère sexuelle à laquelle les femmes font face à l’époque du « fast sex » et du « breadcrumbing » (donner des miettes d’attention à ses partenaires), Laura Piani déplace l’ancrage parisien de son récit, dans une deuxième partie au vert, figée dans une demeure d’époque. Lorsque son meilleur ami Félix l’envoie à l’insu de son plein gré en résidence d’écrivains sous le patronage des héritiers de Jane Austen (dont elle a un livre à conseiller pour chaque situation de la vie, sauf pour la sienne), elle fait ainsi la rencontre d’Oliver, professeur de littérature pédant et raté, mais gentleman après une première approche. Personnage féminin peu sûr de son talent, qui refuse évidemment de faire lire ses écrits qui, sans surprise, lui paraissent sans intérêt, il faut donc qu’on prenne en main sa vie qu’elle persiste à faire stagner dans des blocages dérisoires – elle ne peut pas sortir de Paris parce qu’elle est traumatisée par un accident de voiture, bourgeoise sans problèmes qui a peur de vivre sa vie de bohème. Car vivre d’amour et d’eau fraîche demande au moins de faire partie de l’intelligentsia parisienne, qui fait des films pour ne pas penser pourquoi elle souffre (le capitalisme peut-être ?).
Si la première partie peine à décortiquer le fantasme sexuel féminin, la seconde se perd dans une contemplation arty de la campagne anglaise, très mal rythmée par des scénettes comiques illustrant le pas-de-chance de l’écrivaine. Ainsi d’une balade en forêt où elle croise deux alpagas qui lui crachent à la figure ou d’une entrée fracassante complètement dénudée dans la chambre du prof snob, croyant accéder à la salle de bain. Revisiter le bovarysme sous le prisme féministe austenien aurait pu être de bonne augure si la seule scène de pur fantasme que Piani propose n’était pas teintée d’une ombre de fétichisme exotique de mauvais aloi, alors même que la mise en scène mettait élégamment à nu un jeune homme au rythme d’une bande son qui rappelle celle de In the mood for love (WKW, 2000). Trop de mots monstratifs lorsque la seule évocation de l’imaginaire romantique cinématographique souligne bien plus subtilement le hiatus entre l’amour fictionnel écrit par les hommes et le pragmatisme que doivent pratiquer les femmes dans un système patriarcal où il leur est impossible de rêver.
Jane Austen a gâché ma vie de Laura Piani, en salles le 22 janvier 2025