Critique | Quand Vient l’Automne de François Ozon | San Sebastian
Depuis son entrée sur le grand écran en 1998 avec Sitcom, François Ozon est assurément le cinéaste français le plus régulier de sa génération : chaque année (ou presque) voit apparaître un nouveau film, une nouvelle vendange, un nouveau cru cinématographique. On aurait pu croire que cette régularité stakhanoviste entraîne avec elle une filmographie faite du même film avec variations et répétitions (à la manière d’un Quentin Dupieux), mais pourtant, aucun d’entre eux ne se ressemblent. De fil en aiguille, Ozon en deviendrait presque insaisissable, du moins si l’on part en quête d’une récurrence, car son œuvre, elle, s’intègre parfaitement dans une politique de l’auteur. Son nouveau film au titre au combien saisonnier, Quand Vient l’Automne, est présenté cette année en compétition à San Sebastian. Que vaut donc la nouvelle vendange 2024 de la cuvée Ozon ?
Mamie Michelle (Hélène Vincent) se promène souvent dans les bois de sa campagne bourguignonne avec sa copine Marie Claude (Josiane Balasko) pour cueillir des champignons. À la Toussaint, Michelle reçoit sa fille (Ludivine Sagnier) et son petit-fils (Garlan Eros). Mamie cuisine une poêlée avec la récolte du jour pour le dîner, sa fille manque de mourir à cause d’un champignon venimeux. Elle reproche à sa mère de l’avoir empoisonné, et avec l’accusation le poids du passé refait surface. Acte manqué ou tentative de meurtre ? Si l’aspect mélodramatique du film est raté, la faute à un symbolisme religieux très lourdaud (la figure de la sainte pécheresse Marie Madeleine qui plane sur tous les personnages féminins, un personnage nommé Eve, des apparitions de fantômes assez ridicules), Ozon réussit tout de même à dépeindre le portrait émouvant de deux femmes âgées, loin des stéréotypes et protocoles scénaristiques du genre. Intimiste, il filme tendrement l’image d’Épinal d’une campagne automnale, celle d’un duo de mamies gâteaux solitaires que sont Vincent et Balasko. Cette recherche de la douceur s’actualise dans le rythme même du film, qui sacralise leur quotidien, fait de jardinages et de promenades bucoliques.
En admirateur d’Hitchcock, le film se permet une narration qui s’amuse autant avec elles qu’avec ses spectateur·rices, torturant ses personnages par des ironies dramatiques savoureuses, les rendant ridicules par leurs bassesses et lâchetés. C’est le fils de Marie Claude (Pierre Lottin), incapable d’avouer son crime, qui est couvert par mamie Michelle. L’image d’Epinal se craque, chaque nouveau personnage amène son point de vue : Marie Claude découvrant la machination, le petit fils apprenant le « sombre » passé de sa grand-mère. Un jeu se lance alors avec le spectateur, celui d’imaginer la séquence suivante, et de jubiler de l’avoir anticipé au moment où elle se réalise. Le climax ironique du film est alors atteint lors d’une scène de danse sur Aimons Nous Vivants de Paul Valéry, trouvaille géniale où se conjugue à travers une triangulation de points de vue générationnelle (celui des mamies, fils et petit fils) toute la tendresse et la malicieuse cruauté que peut donner un cinéaste à ses personnages.
Avec Quand vient l’Automne, Ozon semble conclure son cycle de Contes des Quatre Saisons : après le huis clos hivernal de 8 Femmes (2002), l’excentricité printanière de Potiche (2010) et la nostalgie adolescente d’Été 85 (2020), la récolte automnale est, elle, mitigée. Les bons bolets et autres sanguins étaient là et pouvaient être assez savoureux, mais la poêlée est gâtée par la présence de champignons vénéneux : c’en est presque à se demander si la comédie noire qu’on a entraperçue dans le lourdaud mélodrame était réellement voulue par son réalisateur. On espère pour Ozon qu’il saura mieux trier sa prochaine récolte, son automne n’en sera que plus beau.
Quand vient l’Automne de François Ozon, en salles le 2 octobre 2024