Seul avec du monde autour

Édito | Festival de Cannes Jour 8

Vivre un festival de Cannes, c’est côtoyer des festivaliers. Il y a les fiévreux en costard de la last minute du Grand Théâtre Lumière, les baroudeurs venus voir des films introuvables, et une espèce hybride qui tente de faire les deux. Cannes étant un grand programme de cinéma, chaque projection compte : si le film ne plaît pas, levons nous et partons avec grand bruit pour le signifier.

Entre deux séances, dans la file d’attente, dans la salle, tout le monde parle de cinéma. Il n’est pas rare que nos oreilles traînent, s’attardent sur des phrases entendues par ci par là. Des avis succincts, des catchphrases pour prouver son bon (ou mauvais) goût. La réputation des films se fait comme ça : « Vous avez vu tel film ? Et alors ça donne quoi ? J’hésitais à annuler ma place pour demain… »

Un seul pronostic plane sur les lèvres festivalières : quelle sera la Palme d’or 2024 ?

Les avis sont clivants, le Audiard serait le premier nom à surgir comme prétendant solide à la récompense suprême (à notre grand désarroi). Le Lanthimos peut-être ? Non, il a déjà eu le Lion et l’Oscar. Le Fargeat qui a enflammé la Croisette ? Selon SensCritique oui, selon Tsounami même pas en rêve : clivant donc. Pour la rédaction, Bird d’Andrea Arnold est pour l’instant le plus grand film de la compétition officielle, nous en faisons le vœu, une profession de foi cinéphilique.

En attendant les résultats samedi, voici donc un petit florilège de phrases, bouts de conversations, anecdotes entendues durant cette première semaine de festival.

21h30, La Licorne.

2ème séance de The Substance. Le festival bat son plein, la première du film hier fut foudroyante. Tout le monde veut voir le film, la séance gore du festival, surtout les jeunes festivaliers. S’opère alors une drôle de séance : dans un cinéma du festival habituellement squatté par le 3ème âge (La Licorne est situé à trente minute de bus du Palais des Festival) surgit une jeunesse qui n’a rien à faire là. Les esprits s’échauffent, la tension est survoltée. «Bon à ce qui paraît c’est gore ce soir, on va bien voir…» prononce un habitué qui discute avec ses amis, fidèles au rendez-vous.

La bataille commence dès l’extinction des feux. Le générique de Cannes apparaît, et déjà des «chuuuuut» partout, des «On s’assoit ALLEZ» lancés par le club du 3ème âge. La contre attaque de l’équipe jeunesse arrive instantanément, comme une déflagration : des premiers applaudissements, des cris et des huées, coupant le sifflet à tout le monde. En bons perdants, le club du 3ème âge accepte le deal de la soirée : rires et applaudissements sont acceptés le temps d’une séance.

Une petite vieille à propos d’un film (Dieu seul sait lequel), à sa voisine : – Ben pas mal mais mou quoi.- Mais c’est tellement rétrograde ! – … je dirais mou.

Durant la leçon de musique de la SACEM. Stéphane Lerouge (l’intervenant de la masterclass) à la régie : «Bon maintenant vous pouvez appuyer sur « Play ! »» Une dame dans le public : «On peut dire à la place « Lecture », on est encore en France !»

Un voisin de salle qui après avoir dormi 2h (sur 3) devant The Horizon : «Quelle bouse… Kevin Costner mon cul !»

Les nombreux « IN ENGLISH PLEASE » de la Quinzaine…

Les portables sont aussi très présents cette année dans les mains des festivaliers : Cartons-titres et moments happening (comme pour Megalopolis) sont l’occasion d’une photo souvenir, tout de suite twittée dans la foulée.

Le premier ennemi de la projection est le flash de portables : les retardataires qui décident d’illuminer la salle comme en plein concert pour se trouver une place.

À propos de The Apprentice, deux journalistes : « Tu sens que le gars veut faire du Scorsese mais n’y arrive pas quoi… Faudrait le montrer en exemple en école de cinéma. » Suivi d’un « Non mais la musique disco c’est tellement du cache misère quoi »

Enfin, le déjà culte : « Si le Coppola est moche, c’est parce que c’est VOULU. »

Il existe aussi une espèce de festivalier qui nous interroge encore et toujours chaque année : les spectateurs qui se lèvent au premier plan du film. On bataille tous pour entrer dans des salles, et c’est comme ça que vous respectez les films ? On se demande bien ce qu’ils pourront dire à leur voisin à la séance suivante. Ce sont peut être les mêmes qui diront que le Audiard remporte la palme, qui sait ?

Il faut bien passer par tout ça si on veut pouvoir rentrer et assurer, sans ciller, que « Ouais, cette année, j’ai fait Cannes ouais. »