Critique | La Convocation (Armand) d’Halfdan Ullmann Tøndel, 2025
Lorsque La Convocation (Armand) a été couronné de la Caméra d’or au dernier festival de Cannes, une gêne est venue instinctivement : parmi toute la sélection des premiers films du Festival de Cannes (hormis ceux de l’ACID, allez savoir pourquoi), le jury a décidé de récompenser le premier film d’un nepo baby, Halfdan Ullman Tøndel, petit fils de Liv Hullman et Ingmar Bergman. Double attente donc, le film doit être bon, mais son réalisateur doit prouver que son film est plus que ça, plus que ce premier constat de « film de nepo». La lecture du synopsis n’arrange pas son cas : Elizabeth (Renate Reinsve) est convoquée par la direction de l’école de son fils de six ans, Armand, car ce dernier aurait agressé sexuellement un camarade de classe, Jon. La Convocation (Armand) devait forcément proposer un Certain Regard, sur la base d’un sujet battu et rebattu. Ben oui : être un fils de et choisir l’actrice la plus en vue de son pays sur les bons conseils d’un producteur, ça ne suffit pas pour aller au plus grand festival de cinéma au monde. N’est ce pas ?
« Mais où est donc Armand ? »
La principale réponse à cette question se trouve dans le titre français : de Armand (titre cannois), nous passons à La Convocation (Armand). Car si le cinéaste construit très vite un huis clos autour de la convocation entre les parents et la direction de l’école, il se permet d’évacuer le sujet principal de toutes les discussions ; Armand, et plus généralement les enfants, sont relégués au rang de parenthèse dans la vie des parents, une réalité que le réalisateur soustrait à sa convenance. Une école n’a jamais été aussi vidée de toute présence enfantine, donnant au film de Halfdan Ullman Tøndel une vision sur son sujet assez hors-sol, abstraite, et très frustrante. Cela relève même du comble lorsque Elizabeth relève en permanence à la direction que son enfant n’a pas été assez entendu et écouté sur le conflit qui l’oppose à Jon.
D’une promesse avortée d’un film sur la cruauté du milieu scolaire, La Convocation (Armand) bascule sur un scénario balisé de confrontation entre parents, dont ressort une Renate Reinsve en reine toute puissante. Le film est construit autour de son personnage, et plus particulièrement sur la performance de l’actrice, dès sa première apparition sonore, bruyante par ses talons et les nombreux bijoux qu’elle porte. Pendant deux heures, Renate propose toute sa palette de jeu avec, en climax, un plan séquence d’une franche lourdeur d’une dizaine de minutes environ, dans lequel tout est condensé : elle passe d’une crise de fou rire qui passe aux larmes amères, devant une assemblée médusée.
Ses nombreuses confrontations avec le corps enseignant et la mère de Jon révèlent un schéma narratif que l’on connaît par cœur. Renate est la mauvaise mère dont on fait le procès, celle qui néglige son enfant. Et puis c’est une comédienne, il ne faut pas faire confiance à ces gens là, et mon Jon a dit qu’une fois vous vous baladiez nue dans votre maison, pas étonnant que votre Armand soit un dégénéré !!! La Maman et la Putain, mais on l’aimera grâce au dernier acte, salvateur, résilient, réconciliateur, qui arrive pile à la dernière minute pour rappeler qu’il ne faut pas juger trop rapidement les gens et que les apparences sont trompeuses, sans jamais questionner (par exemple) politiquement le fonctionnement de l’institut scolaire.
Au revoir les enfants
Pour remédier à cette absence de réalité, le cinéaste propose une mise en scène sur-signifiante. Des motifs récurrents viennent souligner lourdement le scénario : une alarme d’école défectueuse qui sonne miraculeusement aux moments dramatiques voulus, une infirmière qui saigne du nez quand le corps enseignant est mis à mal par les parents d’élèves, une salle de classe avec un projecteur qui diffuse une belle lumière bleue pour que les personnages puissent étancher toutes leurs pensées. La mère de Jon crie dans le vide, la pluie torrentielle d’un été nordique se déclenche de manière cathartique au moment de la résolution d’intrigue, et Renate exprime tout son mal être à travers un clip mal chorégraphié à la manière de Pina Bausch. Par peur de faire du théâtre filmé et d’ennuyer son spectateur par la parole de son huis-clos, le petit-fils cinéaste fait du mauvais Bergman, c’est-à-dire du style sur du vide.
En donnant la Caméra d’Or à La Convocation (Armand), le Festival de Cannes a bien confirmé un biais de connivence. S’il prône sur tous les toits une diversité de cinéma à chaque sélection, le prix est dédiée cette année au diable que l’on connaît : on récompense le nepo baby du plus célèbre cinéaste du cinéma scandinave, qui fait son premier film avec l’actrice et le producteur révélés à Cannes en 2021 pour Julie en 12 chapitres. Dans une sélection pour la Caméra d’Or qui présentait Les Reines du Drame, Le Royaume, Eephus, ou Simon de la Montana, double sacrer des personnes identifiées relève d’une forme de doigt d’honneur. Mais laissons au temps le temps : après tout, qui pourrait citer de mémoire (et sans tricher) cinq cinéastes ayant remporté la récompense ces dix dernières années ?
La convocation (Armand) d’Halfdan Ullmann Tøndel, en salles le 12 mars 2025