2024 comment ça va ?

Édito | 2024 comment ça va ? (rétrospective)

Le voici tout chaud et encore fumant alors qu’on le sort du four, le fameux top 10 de nos films préférés de l’année… Mais qu’en dire, et quelles conclusions en tirer ?

  1. À son image, Thierry de Peretti (110 pts)
  2. Direct Action, Guillaume Cailleau et Ben Russell (92 pts)
  3. Miséricorde, Alain Guiraudie (91 pts)
  4. Le Roman de Jim, Arnaud et Jean-Marie Larrieu (68 pts)
  5. La Zone d’intérêt, Jonathan Glazer (63 pts / avantage)
  6. Le Mal n’existe pas, Ryūsuke Hamaguchi (63 pts)
  7. La vie des hommes infâmes, Gilles Deroo et Marianne Pistonne (59 pts)
  8. Au coeur des volcans, Werner Herzog (55 pts / avantage)
  9. Jeunesse (Le Printemps), Wang Bing (55 pts)
  10. La Bête, Bertrand Bonello (48 pts)

Les premiers analystes de l’approximation annoncent déjà depuis quelques semaines sur différents réseaux une année plutôt moyenne en matière de cinéma, conclusion qui semble confirmée par le manque d’unanimité dans notre top. Mis à part À son image de Thierry de Peretti (110 points récoltés par onze citations sur treize tops, dont trois podiums), il n’y aurait (presque) pas eu de films fédérateurs, qui embarquent toute la rédaction d’un même élan. Pourquoi ? Deux éléments de réponse à cela :

  1. L’inégalité d’accès aux films. Notre rédaction est en grande majorité composée de cinéphiles dont la critique est une activité secondaire, exclusivement bénévole. Tous n’habitent pas à Paris, et peu sont disponibles en journée, en semaine. Dès lors, comment voir Direct Action ou La Vie des hommes infâmes, si peu diffusés à Paris et presque pas en soirée ou province ? Le documentaire de Herzog a été vu par les plus vifs il y a deux ans sur Arte, et celui de Guillaume Cailleau et Ben Russell au festival du Cinéma du réel en mars dernier, soit huit mois avant sa sortie nationale. Les films ne sont donc pas vus en même temps, et ce n’est pas grave : le temps balaye devant l’entrée du temple cinéphile.
  2. À en suivre cette logique, une « bonne année » de cinéma se compose à partir d’un nombre relativement important de films appréciés par de nombreuses chapelles. À l’extérieur, nous partageons trois films avec Critikat (Direct Action, Le Mal n’existe pas et Miséricorde), les Cahiers du cinéma (Miséricorde, La Zone d’intérêt et Le Mal n’existe pas) et les Inrocks (Miséricorde, La Bête et La Zone d’intérêt), tandis qu’à l’intérieur, de nombreux films ont cette année encore alimenté différentes réflexions, se retrouvant à la fois à de hautes positions dans les tops individuels, et cités dans les classements des rédactions voisines (Megalopolis de Francis Ford Coppola, Ma vie ma gueule, All We Imagine As Light de Payal Kapadia, In Water…). Ces arguments suffisent amplement pour balayer l’idée d’une « bonne » ou « mauvaise » année de cinéma. Et même si l’on pouvait en juger ainsi, la faute n’en incomberait de toute manière à personne ; une telle analyse saurait-elle engendrer la moindre réflexion pertinente ?

Consensus sur nos dissensus 

L’année ne fut ni bonne ni mauvaise ; elle a fait de rares consensus et, surtout, produit de nombreux débats originaux, fertiles, de ceux qui reconfigurent la cartographie de nos affinités esthétiques. De Napoléon à Megalopolis, il n’y a qu’un pas, mais on en perd les trois quarts en chemin ; en dépit de ses deux films sortis cette année, Hong Sang-soo ne figure pas dans le classement de la rédaction, preuve s’il en fallait que son œuvre ne peut se résumer à un unique geste systématiquement soutenu… Ces gestes forts qui n’ont emballé qu’un petit nombre se retrouvent souvent aux portes du top, en faisant un sas habité par des films ambitieux sur le plan formel : May December et Megalopolis sont 11e ex-aequo (46 points), In Water, Memory et L’Ombre du feu se retrouvent 15e ex-aequo avec 29 points… Et dans ces interstices, lorsqu’on tourne la tête pour vérifier que ces gestes supposés forts sont perçus comme tels par les copaines, et qu’on est parfois seuls ou peu nombreux, on en discute, et c’est bien là que les pions avancent, où quelque chose d’important et de singulier se joue entre soi et le cinéma.

Si l’on se pare des lunettes statisticiennes un instant, l’on regrettera le monopole écrasant des hommes célébrés cette année (la seule réalisatrice du classement est Marianne Pistonne, à la septième place du classement, pour un film co-réalisé). Quelle place ont les femmes dans notre imaginaire en construction ? Sujet épineux (c’est-à-dire pas encore résolu… si l’on part du principe qu’une résolution est possible), qui mérite à la fois finesse et dialectique (il faudra y revenir beaucoup et à plusieurs reprises) que slogans et gros sabots (une seule femme dans notre top, cela reste choquant, et au vu du climat actuel général, nous devrions toutes et tous travailler à décloisonner nos imaginaires, à commencer par les programmateurs des cinémathèques dont on attend encore une rétrospective Maria Schneider et autres raretés queer et féministes). Mais pour bien réfléchir à cette question, il faudrait d’abord commencer par bien la poser. À savoir : qui peut faire quoi depuis sa propre position ? Nous reviendrons sur tout cela l’an prochain. Quand et comment, nous ne le savons pas encore, mais nous y travaillons. 

Interrogeons-nous également sur la nationalité des films : six sont français. Les autres territoires cités sont l’Allemagne (nazie chez le britannique Jonathan Glazer, et par la nationalité de Werner Herzog) et l’Asie (le Japon en proie à une modernité invasive chez Hamaguchi, l’usine du monde chinois décrite et critiquée par Wang Bing) ; soit des lieux déjà balisés par la critique, et des cinéastes déjà bien installés sur la carte mondiale du cinéma. La France serait-elle encore le centre névralgique du septième art ? Probablement : on y voit autant de cinéastes établis qui poursuivent leur œuvre avec brio que de nouveaux qui grimpent immédiatement aux côtés de ceux qui comptent le plus pour nous. Dans la première catégorie figure Le Roman de Jim des Larrieu, qui atteignent encore des sommets en remodelant complètement leur art à travers cette sublime incursion dans le mélo ; ou encore Alain Guiraudie qui avance vaillamment dans sa mise en scène de la France des villages, prouvant à lui seul qu’elle n’est pas condamnée aux drame sociaux et aux déterminismes comme l’avancent avec un peu trop d’assurance Vingt Dieux ou les films de Gilles Lellouche cette même année. Dans la seconde, les œuvres sont peut-être plus radicales, mais rappellent aussi qu’il ne faut pas attendre quatre films ou un budget de 12 millions pour être véritablement innovant. Guillaume Cailleau et Ben Russell nous aident à mieux voir le monde, se faire une image nette et précise d’un territoire noyé par des discours contradictoires et politiquement récupérés par l’extrême droite : Notre-Dame-des-Landes et Sainte-Soline. Leurs outils pour y parvenir ? Le temps et les plans séquences. Un secret que l’on répète à qui veut l’entendre, un dispositif à la portée de toutes et tous.

Le moral des troupes

2024, ça allait ? Il serait fou de dire que, de notre côté, cette année ne fut pas merveilleuse ou même imprévisible il y a un an. À titre purement personnel et pour vous inviter l’espace de quelques lignes dans les cuisines internes, nous pouvons déjà vous dire que Tsounami n’a jamais été autant lu, avec des pics signifiants (et vous savez pourquoi) sur les entretiens que nous ont accordés Francis Ford Coppola et Audrey Diwan, ainsi que sur notre critique-torchon de Leurs enfants après eux (le post de l’article sur Twitter a été qualifié de « torchon » par Zoran Bourkherma). C’est important pour nous, et pour deux raisons : parce que la pratique de l’entretien est essentielle nous tient particulièrement à cœur dans la conception que l’on se fait de la critique, mais aussi en raison du climat de confiance qu’elle suppose avec différents interlocuteurs et interlocutrices, des attachées de presse aux cinéastes, acteurs et actrices, ou même le CNC.

Nous voyons des films qui nous semblent importants, nous écrivons dessus pour nous en approcher et figer le rapport qui nous y relie à un instant précis, nous sommes lus, et jamais nous n’avons autant discuté de toutes ces expériences. Alors il nous reste encore quelques chantiers, et des milliers de films à découvrir et partager. Mais n’est-ce pas le signe d’une incroyable vitalité qui circule dans notre pratique ? 2024, ça va. Ce ne sont pas les films qui sont fatigués, mais plutôt ceux qui les regardent. Alors on se repose pendant les fêtes, et 2025 pointera le bout de son nez en un battement de cil. L’année prochaine, ne sera pas de tout repos (et commencera extrêmement fort avec Bird et Pepe le 1er janvier, deux magnifiques films « animaliers » !). Mais nous serons au rendez-vous. Et une fois de plus, nous vivrons tout cela ensemble.

Jeunesse de Wang Bing / © House on Fire, Gladys Glover et CS Production

Top 10 de Nicolas Moreno

  1. Megalopolis de Francis Ford Coppola
  2. Le Roman de Jim d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu
  3. La Bête de Bertrand Bonello
  4. Au cœur des volcans de Werner Herzog
  5. The Sweet East de Sean Price Williams
  6. May December de Todd Haynes
  7. Laissez-moi de Maxime Rappaz
  8. À son image de Thierry de Peretti
  9. Direct Action de Guillaume Cailleau et Ben Russell
  10. Le Mal n’existe pas de Ryūsuke Hamaguchi 

Top 10 de Grégoire Benoist-Grandmaison

  1. La Vie des hommes infâmes de Marianne Pistone et Gilles Deroo
  2. À son image de Thierry de Peretti
  3. Mambar Pierrette de ​​Rosine Mbakam
  4. Knit’s Island d’Ekiem Barbier, Quentin L’Helgouac’h et Guilhem Causse
  5. Riverboom de Claude Baechtold
  6. May December de Todd Haynes
  7. Miséricorde d’Alain Guiraudie
  8. Memory de Michel Franco
  9. Los Delincuentes de Rodrigo Moreno
  10. Le Mal n’existe pas de Ryūsuke Hamaguchi 

Top 10 d’Aliosha Costes

  1. Jeunesse (le printemps) de Wang Bing
  2. In Water de Hong Sang-soo
  3. Miséricorde d’Alain Guiraudie
  4. Direct Action de Guillaume Cailleau et Ben Russell
  5. Ma vie ma gueule de Sophie Fillières
  6. Walk up de Hong Sang-soo
  7. Koban Louzoù de Brieuc Schieb
  8. La Vie des hommes infâmes de Marianne Pistone et Gilles Deroo
  9. Il fait nuit en Amérique d’Ana Vaz
  10. La Prisonnière de Bordeaux de Patricia Mazuy

Top 10 de Safa Hammad

  1. Man in Black de Wang Bing
  2. Walk up de Hong Sang-soo
  3. Jeunesse (le printemps) de Wang Bing
  4. Direct Action de Guillaume Cailleau et Ben Russell
  5. La Vie des hommes infâmes de Marianne Pistone et Gilles Deroo
  6. Here de Bas Devos
  7. Los Delincuentes de Rodrigo Moreno
  8. Miséricorde d’Alain Guiraudie
  9. À son image de Thierry de Peretti
  10. Grand Tour de Miguel Gomes

Top 10 de Corentin Ghibaudo

  1. À son image de Thierry de Peretti
  2. Les Carnets de Siegfried de Terence Davies
  3. La Bête de Bertrand Bonello
  4. La Zone d’intérêt de Jonathan Glazer
  5. All We Imagine as Light de Payal Kapadia
  6. Furiosa de George Miller
  7. Vampire humaniste cherche suicidaire consentant d’Ariane Louis-Seize
  8. Le Jeu de la Reine de Karim Aïnouz
  9. Comme le feu de Philippe Lesage
  10. Knit’s Island d’Ekiem Barbier, Quentin L’Helgouac’h et Guilhem Causse

Top 10 de Léo Barozet

  1. Direct Action de Guillaume Cailleau et Ben Russell
  2. À son image de Thierry de Peretti
  3. May December de Todd Haynes
  4. Furiosa de George Miller
  5. Dahomey de Mati Diop
  6. Le Mal n’existe pas de Ryūsuke Hamaguchi 
  7. Miséricorde d’Alain Guiraudie
  8. Au coeur des volcans de Werner Herzog
  9. La Bête de Bertrand Bonello
  10. Flow de Glints Zilbalodis

Top 10 de Sacha Maunoury

  1. Miséricorde d’Alain Guiraudie
  2. La Zone d’intérêt de Jonathan Glazer
  3. Grand Tour de Miguel Gomes
  4. Memory de Michel Franco
  5. À son image de Thierry de Peretti
  6. Le Roman de Jim d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu
  7. Juré n°2 de Clint Eastwood
  8. Los Delincuentes de Rodrigo Moreno
  9. Le Mal n’existe pas de Ryūsuke Hamaguchi 
  10. Direct Action de Guillaume Cailleau et Ben Russell

Top 10 de Pierre Guidez

  1. La Zone d’intérêt de Jonathan Glazer
  2. Le Mal n’existe pas de Ryūsuke Hamaguchi 
  3. Miséricorde d’Alain Guiraudie
  4. The Substance de Coralie Fargeat
  5. Walk up / In Water de Hong Sang-soo
  6. Eureka de Lisandro Alonso
  7. Knit’s Island d’Ekiem Barbier, Quentin L’Helgouac’h et Guilhem Causse
  8. À son image de Thierry de Peretti
  9. All we imagine as light de Payal Kapadia
  10. L’Empire de Bruno Dumont

Top 10 d’Alice Grasset

  1. Direct Action de Guillaume Cailleau et Ben Russell
  2. L’ombre du feu de Shin’ya Tsukamoto
  3. Jeunesse (le printemps) de Wang Bing
  4. Miséricorde d’Alain Guiraudie
  5. Jusqu’au bout du monde de Viggo Mortensen
  6. Au coeur des volcans de Werner Herzog
  7. Eat the night de Caroline Poggi et Jonathan Vinel
  8. Les belles créatures de Guðmundur Arnar Guðmundsson
  9. À son image de Thierry de Peretti
  10. La vie des hommes infâmes de Marianne Pistone et Gilles Deroo

Top 10 de Niels Chapuis

  1. L’ombre du feu de Shin’ya Tsukamoto
  2. Direct Action de Guillaume Cailleau et Ben Russell
  3. Madame Hofmann de Sébastien Lifshitz
  4. Jeunesse (Le Printemps) de Wang Bing
  5. Au coeur des volcans de Werner Herzog
  6. Anhell69 de Theo Montoya
  7. Juré n°2 de Clint Eastwood
  8. Les belles créatures de Guðmundur Arnar Guðmundsson
  9. La vie des hommes infâmes de Marianne Pistone et Gilles Deroo
  10. Jusqu’au bout du monde de Viggo Mortensen

Top 10 de Zoé Lhuillier

  1. La Bête de Bertrand Bonello
  2. Ma vie Ma gueule de Sophie Fillières
  3. Le Roman de Jim d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu
  4. Miséricorde d’Alain Guiraudie
  5. Megalopolis de Francis Ford Coppola
  6. Les reines du drame d’Alexis Langlois
  7. Memory de Michel Franco
  8. Les graines du figuier sauvage de Mohammad Rasoulof
  9. Here de Bas Devos
  10. Le Mal n’existe pas de Ryūsuke Hamaguchi 

Top 10 de Raphaël Bonneau

  1. Comme le feu de Philippe Lesage
  2. Les graines du figuier sauvage de Mohammad Rasoulof
  3. Le Roman de Jim d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu
  4. À son image de Thierry de Peretti
  5. La Zone d’intérêt de Jonathan Glazer
  6. The Substance de Coralie Fargeat
  7. Moi, capitaine de Matteo Garrone
  8. Un silence de Joachim Lafosse
  9. Le Tableau volé de Pascal Bonitzer
  10. La vie des hommes infâmes de Marianne Pistone et Gilles Deroo

Top 10 de Noémie Mimaud

  1. Megalopolis de Francis Ford Coppola
  2. Au coeur des volcans de Werner Herzog
  3. Le Mal n’existe pas de Ryūsuke Hamaguchi 
  4. Le Roman de Jim d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu
  5. La Zone d’intérêt de Jonathan Glazer
  6. À son image de Thierry de Peretti
  7. Direct Action de Guillaume Cailleau et Ben Russell
  8. Sauvages de Claude Barras
  9. Le Royaume de Julien Colonna
  10. Laissez-moi de Maxime Rappaz